3.6.4. « De quels bourgeons / Es-tu capable encore ? »

L’autre métaphore opératoire est celle de l’arbre : à force de lire du Novarina (surtout quand on part des premières pièces), on est frappé par sa capacité de renouvellement ; de ce point de vue, il n’y a jamais eu de coupures (ou alors elles furent bénéfiques) : l’arbre a toujours su refleurir et il est passionnant pour le récepteur (et pour le doctorant) de recenser les nouvelles branches qui apparaissent et qui semblent même, de pièce en pièce, se « solidifier-fragiliser » en donnant toujours (lexicalement, métaphysiquement) des bourgeons très inattendus.

Mais expliquons le titre de cette sous-partie : dans ses Poèmes à voir (in Le Lied du Chevalier), Tardieu semble en effet demander (à sa muse ? à l’écorce ? à lui-même ? à la poésie ?) de quels bourgeons sera capable l’arbre qui, dans la forêt obscure, fonctionne comme un phare en donnant à tous les égarés (« où vas-tu, mon chemin / je ne te voyais plus ») un bel exemple de force et de suite dans les idées, lui qui toujours sut, l’arbre, bourgeonner, rebourgeonner et se renouveler encore et toujours, à l’image du poète (ce dernier proposant lui-aussi, par le fait, ici et maintenant, un nouveau fruit et une nouvelle fleur : c’est le poème qu’il écrit). Notons que le noyau central du calligramme tardivien (le nœud de l’arbre en quelque sorte) correspond encore à l’expression d’une libération : « un éclair / mille éclairs / percent l’ombre / et m’illuminent ».

Ce rapprochement arbre / principe créateur se retrouve un peu chez Francis Ponge écrivant dans un poème282 que « les arbres lâchent leurs paroles, un flot, un vomissement de vert ». « Tente encore une feuille ! » s’encourage l’arbre (Novarina procède de même) et pourtant, tout ceci est parfaitement naturel : « les arbres ne disent que "les arbres" » note Ponge…

Enfin, remarquons ceci : dans L’Origine rouge (p. 83), on tombe sur une métaphore, « Nous avons trop de mains à la place des doigts » qui, si l’on essaie de lui donner corps graphiquement, correspond bel et bien à la réalité d’un arbre avec un tronc (l’avant bras) et des branches ou des racines (c’est une question de point de vue) ; de même, l’œuvre, en avançant, se multiplie sous nos yeux de façon foisonnante – et si, comme pour un arbre, il semble qu’on aille vers le haut, c’est aussi dans le sens d’une progression dantesque : du chaos infernal à l’œuvre dans La Lutte des morts aux amants mystérieux de Lumières du corps.

Notes
282.

Francis Ponge, « Le Cycle des saisons », Le parti pris des choses, Poésie-Gallimard, Saint Amant, 1987, pp. 48-49.