3.7. Faune, flore et folie : l’enfermement de Jean Démence

3.7.1. Face aux mérous et aux « choses du talus »

Mais quid de celui qui ne parvient pas à sortir du labyrinthe ? De celui qui reste dans la forêt ? De celui qui parle aux oiseaux et aux écureuils ? Si la forêt est (un peu comme le désert pour Jésus) le lieu de la retraite et d’un certain mysticisme (cf. ascèse trop dure du Bouddha), c’est aussi le lieu par excellence de la folie ; Merlin, Saint François et Zarathoustra ne sont pas loin d’être des illuminés (idem pour le Purun Bhagat du second livre de la jungle). De même, dans la manière dont le je s’adresse aux cailloux et aux « choses du talus », on peut en effet se poser la question de sa santé mentale. L’humour serait-il là pour cacher la folie ?

S’agissant notamment des « perchés » (qui l’est le plus ?), il semblerait qu’on les évoque souvent de façon comiquement paranoïaque. Moins mortifère que le Corbeau d’Edgar Poe, « Le merle moqueur » de la chanson devient en effet (dans L’Atelier volant) un volatile facétieux dont il convient de se méfier : « entendez-vous l’oiseau déconneur ? Il multiplie les coquilles et quitte sensiblement les traces ». Dans Le Babil des classes dangereuses (pp. 244), si l’on se cache, c’est pour échapper au « peuple juché » : « je dus fuir en forêt dense chercher où foutre mon corps visible hors de la vue d’tous ces oiseaux ». A la page suivante, on comprend mieux (« Déjà ces noires salopes épiaient les mers, guignaient d’en haut nos agitats. C’est sous du buis et bien caché que j’échappa à leur mangeage ») : la forêt est un maquis et ces harpies sont des avions de chasse ("avion" se confondant ici avec l’ancien "avis") : « Mon père les abattit et puis les enterra, avec tout le reste des troupes allemandes ». Cela est à mettre en relation avec l’évocation, plus implicite, du Vel’ d’Hiv’ dans Le Drame de la vie : la mort et l’horreur de la guerre sont toujours plus ou moins dans les parages, comme une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.

Pourtant, le statut de l’oiseau est ici fluctuant : si les arbres font la forêt, les oiseaux et leurs cris la meublent aussi mais ces oiseaux peuvent encore symboliser une sortie, la possibilité d’une évasion, le hors champ (/chant) de la forêt. Ils incarnent une forme de mystère et on peut les assimiler à Dieu – ou bien, hypothèse plus inquiétante, ces oiseaux sont des mots attendant hitchcockiennement leur heure ; la proie que guettent ces « perchés », c’est la parole qui fait qu’Adam est ce qu’il est : les mots veulent la peau de l’homme (et ils l’auront peut-être). Cette menace des oiseaux (mots ou avions), on en rira carrément à l’occasion des nouvelles des Machines à dire la suite mais là, pour l’instant, dans Le Babil des classes dangereuses (p. 302), c’est la peur qui l’emporte, la peur et l’exaspération : « Hé les perchés, dévolatilisez-vous, veuillez oiseaux sortir des bois, sortez ». Bref, la folie de celui qui « [va] partout parlant » (D.A., p. 215) est relative et discutable.