VI. « Mars attacks !»

1. Un ovni dans l’histoire de la littérature

1.1. Wake II

«Aussi fou et génial que Voyager de Star Trek, Finnegans Wake […] » : c’est ainsi, iconoclastement, que commence l’avant-propos de l’un des traducteurs du « Wake » aux éditions Gallimard (cf. Folio, n°2964). Comparer l’ultime œuvre de Joyce à cet improbable vaisseau spatial de série télévisée a de quoi surprendre et choquer ; pourtant, convenons que l’incipit est drôle. Il se peut même qu’il ne soit saugrenu qu’en apparence, la volonté de Philippe Lavergne étant sans doute d’évoquer l’étrangeté absolue d’une telle œuvre, vibrante et non identifiée.

C’est que ce dernier avait en effet, nous le supposons, une idée bien précise derrière la tête : celle du caractère (encore) parfaitement (science-)fictif d’un appareil tel que le "Voyager" de Monsieur Spock, et de l’étrangeté absolue (et donc comparable) d’un vaisseau littéraire comme Finnegans Wake. Soucieux de piquer la curiosité du lecteur, le préfarceur pensait peut-être aussi à certaine expression contemporaine (hélas actuellement très galvaudée) qui consiste à s’exclamer "C’est un ovni !" à chaque fois qu’on veut définir un livre (ou un film, etc.) que l’on juge particulièrement innovant et original. La seule grosse différence, c’est que nous ne sommes pas ici en présence d’une quelconque série B. réalisée par Ed Wood mais bel et bien (surtout avec Le Drame de la vie) d’un authentique ovni, d’un ovni véritable, comme on n’en voit que quatre ou cinq par siècle. Devant cette œuvre en effet, on est un peu comme devant le monolithe du début de 2001, l’auteur nous faisant basculer dans une quatrième dimension du langage tout à la fois concrète et mystérieuse, grandiose et chaotique, enfantine et sophistiquée...

De même, quand Bernadette Bost utilise ce terme, elle le fait à bon escient : pour la « famille théâtrale » et le monde des lettres en général – même si, dit-elle, l’auteur fut « reconnu et coopté […] par la famille littéraire de TXT, de L’Energumène, de NDLR » –, il ne fut pas facile d’«intégrer cet OVNI ».291

Notes
291.

Bernadette Bost, « Du corps inouï au verbe impensé », Le théâtre de Valère Novarina, op. cit., p. 14.