1.2. Miracle de l’hypotypose

Tâchons à présent de voir en quoi consiste cette "ovnité" de la parole novarinienne. Tout d’abord, a priori, sur le papier, ce théâtre-là est parfaitement irreprésentable. C’est un problème pour la postérité de cette œuvre qui peut / pourra être très facilement trahie.

De fait, on pourrait fort bien s’en emparer pour en faire une sorte de grand manga métaphysique, ce qui serait un contre-sens absolu – cela dit avec un certain respect pour cette nouvelle forme d’expression (d’autant plus que certaines correspondances existent en effet : vitesse, ellipses, modernité, personnages singuliers, etc.) – ou mettre des sentiments et des intentions là où il n’y en a pas, l’acteur devant plutôt faire le vide en évitant le plus possible de jouer, ce qui n’est pas forcément très facile.

Quoi qu’il en soit, l’œuvre en question constitue objectivement un formidable défi de mise en scène. A cette in-jouabilité du théâtre novarinien, plusieurs raisons : la rareté des didascalies en est une. Que faire avec ces textes ? Comment jouer ? Rien n’est dit. On peut cependant considérer, en plus des trop rares captations (D.V.D. de La Scène ou diffusion sur Arte de L’Acte inconnu), le versant théorique (Théâtre des paroles, Devant la parole, etc.) voire les interviews – souvent fort éclairantes – de l’auteur (et trouver ainsi des pistes et des idées).

Acteurs et metteurs en scène doivent comprendre que tout, absolument tout, passe par la parole. Il ne faut pas forcément chercher à représenter, à montrer , il faut laisser agir la parole : elle contient déjà tout. On connaît ce passage du Cid (« Nous partîmes cinq cents », etc.) où tel récit est rendu si vivant par Corneille qu’on semble littéralement voir ce qui nous est raconté. Chez Novarina., il s’agit bien de cela, de procéder par hypotypose (figure chère à Genette) de façon à évoquer-suggérer l’insolite des monstres et des situations.

A la lecture défile en effet devant nous un véritable carnaval extraterrestre : comment le représenter ? Sans doute en s’appuyant sur le mot sans chercher à montrer la chose, en allant voir du côté du nô pour analyser la technique des acteurs japonais ou en s’inspirant d’un jeu de scène comme celui qui consiste à écarter les bras pour dire (cf. D.V.D. de La Scène) « Voici mes corps ». Contrairement à ce qu’on pourrait croire étant donné le côté dément (voire fou furieux) de cette proposition d’univers, une certaine sobriété est ici de mise : il ne faut pas faire n’importe quoi.