2.2. S.F. et prophétie

2.2.1. Alarme, alarme !

Au-delà de toutes ces considérations purement rhétoriques, disons qu’il y a aussi de l’écrivain de S.F. chez l’auteur du Drame de la vie en ce que ces derniers, à l’instar de prophètes comme Amos, se piquent de prévoir l’avenir et annoncent parfois des malheurs. Le Paris déshumanisé prévu par Verne ne correspond-il pas à une certaine réalité actuelle ? Orwell fit-il vraiment montre d’un pessimisme exagéré en écrivant 1984 en 1948 ? La fameuse paranoïa de Philip K. Dick et sa vision angoissée du futur (dans Ubik par exemple) ne rejoignaient-elles pas, par moments, une sorte de lucidité relative ? Arthur C. Clarke fit encore mieux en écrivant (c’était en 1973) au début de Rendez-vous avec Rama :

‘[…] au matin du 11 septembre […], la plupart des habitants de l’Europe furent éblouis par une boule de feu » qui « [laissa] derrière elle un panache bouillonnant de poussière et de fumée » : « la perte subie par l’art, l’histoire, la science – par l’espèce humaine et pour l’éternité – déjouait toute évaluation. C’était comme si une gigantesque bataille avait été livrée et perdue en un seul matin ; et peu nombreux furent ceux qui se réjouirent, tandis que retombaient lentement les poussières de la catastrophe. ’

Or, il se trouve que cette série de Cassandre pourrait être complétée par le nom de celui qui fit publier L’Origine rouge en l’an 2000 :

‘Pour avoir donné à boire à des nourrissons de l’eau contenant du « thanatum » et du « polybiate », feu sur toi, Toulouse : tes vaniteuses constructions sont endommagées ! » ’

Ce qu’on a nommé "catastrophe A.Z.F." ayant eu lieu deux ans plus tard, on pourrait presque considérer que dans le principe, cette attaque crypto-amossienne annonçait le drame qui allait se produire, même si la plupart des « constructions endommagées » n’avaient rien de vaniteux. Ici, il ne s’agit pas de crier "Gloire à Novarina !" tout en jouant du tambourin ; au reste, et comme ironiserait Brassens, « [pas] besoin d’être Jérémie » pour prédire en gros ce type de catastrophe. Pourtant, les plus ébranlés par la coïncidence songerons à ceci, qui est de Pascal dans les Pensées :

‘Que peut-on avoir, sinon de la vénération, d’un homme qui prédit clairement des choses qui arrivent, et qui déclare son dessein et d’aveugler et d’éclairer, et qui mêle des obscurités parmi les choses claires qui arrivent ?’

Outre que la question posée est assez novariniennement formulée, la citation vaut surtout pour la notion d’hermétisme – Novarina étant peut-être même l’auteur le plus le plus obscur de la langue française depuis Nostradamus. Par délicatesse (peur de choquer et/ou d’éviter d’éventuelles réactions hostiles de la part du public toulousain), notons par parenthèse (et pour l’anecdote) que, lors de certaines représentations données au Théâtre-Garonne, André Marcon épargna la Ville Rose en maudissant une autre ville – ce n’est donc pas vers cette piste nouvelle qu’il faudrait diriger l’enquête.

Autre manière de moderniser la figure du prophète : le nom qu’il porte, qu’il s’agisse du « prophète Guy Guimblond » ou du prophète « Alain Hirsouin » (A.I., p. 35) ou encore du « prophète Michel Coplet » (qui officie « en la sainte ville de Clermont-Ferrand ») ; pour résumer le message d’iceux, citons cette exclamation de la Femme Spirale : « Alarme, Alarme ! […] Alarme, Alarme ! » : ce cri, c’est aussi celui de Valère Novarina.