L’auteur étudié aborde donc, de fait, de nombreux thèmes relevant de la science-fiction classique. Il en va ainsi pour la possibilité de créer artificiellement des hommes : Mary Shelley l’avait certes déjà entrevue dans son Frankenstein mais c’est aussi le cas de Valère Novarina qui, dans Le Drame de la vie, imagine à son tour des « hommes faits en autre chose que de chair d’homme ». De même, dans Le Discours aux animaux (p. 84), on évoque « une dizaine d’exemplaires de moi-même contrefaits » et on parlera, fantasme assez chrétien, de « [se reproduire] tout seul en trois » (p. 288) ; dans La Scène (p. 163), ce sera un nouveau sacrilège : « nous avons pris la sainte matrice de la vierge pour éprouvette et greffé dedans un homme jetable, sécable, tournable en rond et coupable en deux ».
Nous sommes dans un univers (J.S., p.45) où on semble pouvoir « enfanter » sur commande « trois bocaux de garçons et une tonne de filles, dont deux de viables », les mots « tonne » et « bocaux » renvoyant à l’idée assez inquiétante de (re)production industrielle. Il y aura aussi des aberrations sans doute liées à un désir de retour en arrière : « J’ai voulu accoucher de l’être qui m’a fait » (D.V., p. 82). Autre aberration (qui se vit dans la Bible mais qui sait si la science ne rendra pas un jour possible ce genre de miracle) : une femme de quatre-vingt dix-huit ans en mesure d’accoucher (D.V., p. 49). Un autre personnage, la Mère Lépante, voudrait mettre au monde autant d’enfants qu’elle a eu de jours (« Treize mille six cent huit ») et « qu’ayant vécu une vie d’angoisse, ils meurent de joie » (D.V., p. 117).
Dans L’Opérette imaginaire (p. 115), le clonage continue : au lieu de se connaître bibliquement et de faire naturellement des enfants, on annonce « Nous allons nous en faire à partir des gens déjà là ». Aussi bien, dans Le Jardin de reconnaissance, on pourra croiser une « personne faite de morceaux de peau de devant » (p. 95). Dans La Scène, à la page 28 (c’est une nouvelle de la Machine à dire la suite), on a la description comique, terrible et très rythmée d’un Frankenstein novarinien :
‘[…] un homme vient d’être crée à partir de deux noyaux de femmes et d’un morceau de pneu déposés dans l’embryon de son père-poupon lors d’une visite improvisée dans l’enceinte vitrifiée du laboratoire Lopotal-Potal. ’Plus loin (pp. 28-29) et de manière moins évidente, on a une possible allusion à la cryogénisation (voire à Hibernatus, film où joua Louis de Funès) : dans le « frigo » (« écoute comme cette vieille carne sent la bidoche ») repose en effet « un morceau de mon père pénultien laissé là par mégarde » et de nouvelles techniques permettrons peut-être de le ressusciter. Idem à la page 87 : « Le corps d’un expert-comptable de quarante-sept ans a été découvert dans son congélateur à Berck-Plage ».
Le clonage concerne aussi l’animal comme dans Vous qui habitez le temps (p. 83) : « Je vois partout des veaux en clones paître des champs d’imitation ». Dans des « prairies en pierre » paissent en effet des « bêtes faites en viande pas mangeable » (V.Q., p. 83) : la formulation est cocasse mais le propos inquiétant – et ce d’autant plus que tout ceci correspond à une réalité terriblement actuelle (cf. brebis Dolly, expérimentations discutables sur le plan éthique, spectre du docteur Moreau, etc.). Des expériences ont peut-être déjà eu lieu puisqu’on croise par exemple « deux milliards de bêtes parlantes sur quatre pieds » dans Le Drame de la vie (p. 216) et un «écossais rectifié » dans L’Acte inconnu (p. 112). Cadiot aborde aussi ce thème dans son Retour définitif et durable de l’être aimé :
‘ […] en avant le transgénique musclé, les perdreaux géants, les hirondelles dopées, vous savez c’est déjà l’île du docteur Machin. 293 ’A l’origine de ces séries d’êtres artificiels que nous prédisent Olivier Cadiot et Valère Novarina, il y a peut-être un moule : « La machine à reproduire entre en branle » nous annonce-t-on dans La Lutte des morts (p. 473) mais cette machine infernale, c’est peut-être aussi le couple originel qui sut la mettre en route : Adam et Eve (pour se venger de Lui ?) essaient d’imiter Dieu mais ce que cela donne est parfois un peu problématique.
Olivier Cadiot, Retour durable et définitif de l’être aimé, Folio-Gallimard, Saint Amant, 2008, p. 159.