2.3. Guerre des mondes et lutte des morts

A l’instar du Mahabbarahta, l’enjeu de La Lutte des morts a quelque chose de cosmique : tous ces mots qui en dévorent d’autres (ce dont rendent littérairement compte les glissements métonymiques) dans le but de rester en lice et dans la place veulent imposer au monde et à l’homme un certain diapason. Parfois, c’est problématique (cf. Boucot, Machines à dire la suite), le problème étant que certains de ces mots sont comme les martiens de Welles : ils veulent détruire la parole et cette énergie originelle qui fait que l’homme est resté debout jusqu’à présent.

C’est une guerre des mondes car Adam se rebiffe, résiste : les mots menteurs ne doivent pas l’emporter. Novarina (voir partie intitulée « Une armée de l’ombre » in « Le Drame de la parole ») met en scène le combat en question – et le fait parfois comme un auteur de science-fiction. Cela dit, c’est surtout la violence des télescopages entre les mots mais aussi le contexte souvent un peu irréel – car irréel, il ne l’est pas toujours (cf. tour de France, références historiques, allusions à l’actualité, noms de V.I.P., etc.) – où se déroulent ces joutes sans merci qui pourra éventuellement évoquer un grand space-opéra langagier.

A l’instar de l’hindouisme, il y a presque des sortes de castes (docteurs, saints, champions, mangeurs, clowns, hommes de peu, etc.) qui sans s’opposer vraiment ni être animés d’un quelconque esprit de corps sont néanmoins distinctes – mais pour chacun des individus, le problème est le même : il faut rester sur scène, persister en vianderie et ne pas se laisser dévorer par autrui. L’autre ennemi, c’est la lumière qui nuit, le temps qui passe et l’ombre de la mort (autant de périphrases novariniennement synonymes).

Ce qui est sûr, c’est qu’il y a combat – Jean-Marie Thomasseau dit d’ailleurs de ce théâtre qu’il est « conçu comme l’ultime lieu d’une bataille, d’un affrontement, celui sur lequel se joue le drame de l’histoire et de l’humanité, où l’imaginaire et l’invisible se transforment en visible et en palpable »298.

Notes
298.

Jean-Marie Thomasseau, « Le dernier des romantiques », La voix de Valère Novarina, op. cit., p. 183.