3.3. Corps, es-tu de mon espèce ?

3.3.1. Origines du corps

Ici, l’extraterrestre, c’est le corps : d’où nous vient-il ? « D’où vient qu’on parle ? Que la viande s’exprime ? » Ce type de question obsédant l’auteur et concernant au fond les véritables origines de l’homme est moins farfelue que métaphysique : dans la recherche spatiale, lorsqu’elle est capable de prendre une certaine science fiction au sérieux, on va jusqu’à se demander si les terriens ne seraient pas tout bonnement des martiens (des martiens qui auraient jadis colonisé la terre, à l’époque où c’était possible, etc., etc.), ce qui expliquerait en partie notre incompréhension fondamentale face à l’existence de ces attributs novariniennement mystérieux que sont le corps et la parole – cela dit, les martiens conscients de l’être ne sont pas forcément plus avancés.

Quoi qu’il en soit de ses spéculations martiennes, le déhommage novarinien va vraiment très loin : perçu comme étranger à soi dans cette conception si particulière, le corps ne nous appartiendrait donc pas vraiment (ou pas complètement) mais il semble qu’on puisse tout de même communiquer avec lui grâce à la parole – et l’on ne s’en prive pas : pêle-mêle, on interroge ses pieds (« Qui êtes-vous les pieds ? »), on s’adresse à ses bras (« Hé, les bras ballants ! ») comme à des « garçons qui sont devant » et l’on apostrophe même le corps tout entier en lui demandant avec angoisse s’il est de notre espèce. Concernant la tête, les interrogations la concernant ont quelque chose de plus clairement hamlettien et nous en reparlerons plus loin.

Bref et fût-ce paradoxal, le corps est présenté comme étant loin de l’homme : comme autant de bouteilles qu’on lancerait à la mer, religion, philosophie, art, sport, (s)plongée sous-marine et recherche spatiale sont peut-être au fond des tentatives désespérées et souvent dérisoires pour approcher vraiment ce corps (cet inconnu), le comprendre et communier avec lui : Novarina met donc cela en scène, et de façon souvent très drôle.