3.3.2. « Hé mon corps, reviendez ! »

→ Le corps étranger et/ou perçu comme tel

Il y a donc tout à la fois familiarité avec le corps et sentiment d’étrangeté par rapport à lui, souvent présenté comme extérieur à soi. Les adresses au corps ne le concernent donc pas forcément en entier : on s’adresse à certaines parties ou à plusieurs en même temps (comme, dans La Chair de l’homme, avec le trio compliqué « tête, main qui tient, regard sur ce que tient le crâne qui craint la tête »).

A la page 93 de La Chair de l’homme, on évoque plutôt l’idée d’un double du corps qui serait soi-même : « j’ai adressu à mon corps […] : "Hé-ho mon corps […]" Mais mon corps reprit […] : "Arrêtez de parler […] "». Puis, à la page 94, le Mangeur Basculier déclare : « A mon corps, je lui dis que je le félicite de m’avoir vécu. » Puis, c’est au tour de l’Enfant Affamé : « Quant au mien, je lui dis de me féliciter de l’avoir habité ». Peut-être sont-ce ici des morts qui s’adressent à leurs anciens corps ? Dans ces exemples, c’est tout le corps (mort ?) qui est perçu comme autre ; mais, toujours dans La Chair de l’homme, les membres supérieurs pourront être appelés « garçons qui êtes devant : mes bras » (p. 271) ; de même, dans Le Discours aux animaux, on parle des « bras qui m’échuèrent » (p. 77). Ailleurs, dans L’Origine rouge (p. 83), ils seront apostrophés de la sorte : « Hé ! les bras ballants ! ». Ailleurs encore mais toujours dans L’Origine rouge (p. 75), c’est l’un des deux bras qui sera considéré : « celui-ci mon bras » – un peu comme ne faisant pas vraiment partie du corps: Mains et doigts feront, eux, l’objet d’un questionnement inquiet : « Nous avons deux mains dans nos dix doigts : mais qu’est-ce qui prouve qu’elles sont à nous ? (D.A., p. 291).

Dans L’Opérette imaginaire (p. 120), ce sont les ongles qui (comme des oncles ?) seront concernés par la prise à partie ; il sera en effet question (dixit) de « tes ongles effrontés avec qui t’aimes bien t’gratter » mais encore de « tes deux pieds pleins d’amour [qui] sont nés tous les deux l’même jour » – le plus surprenant ici, c’est peut-être le « qui », appliqué aux ongles. Dans Le Discours aux animaux, les pieds semblent assimilés à des danseurs comiques à la page 115 et on s’inquiète pour eux à la page 99 : « Mes pieds sont au plus bas : ils me supportent […] ». Dans La Chair de l’homme enfin (p. 286), on s’adresse encore à ses(/ces ?) « pattes » : « […] redis-je à mes deux jeunes et déjà fidèles jambes qui depuis l’aube de mon premier matin pantalonnaient bon train », formulation cocasse malgré l’étrangeté éventuellement angoissante des dites jambes, placées sous la ceintures et pourtant mystérieuses.