3.5.2. Démons et merveilles : une tradition millénaire

→ Monde antique et Moyen Age

Il existe de fait depuis la Bible une véritable tradition littéraire concernant démons et merveilles ; dans la relation du songe de Daniel, par exemple, il est question d’un léopard à quatre têtes portant sur les flancs quatre ailes d’oiseau ; et, toujours dans Daniel, on pourra lire : « Voici : une quatrième bête, terrible, effrayante et forte extrêmement ; elle avait des dents de fer énormes […]. Tandis que je considérais ses cornes, voici : parmi elles poussa une autre corne, petite ; trois des premières cornes furent arrachées de devant elle, et voici qu’à cette corne, il y avait des yeux comme des yeux d’homme, et une bouche qui disait de grandes choses ! ». 

De même, il semblerait que Novarina se soit quelque peu inspiré des monstres décrits dans l’Apocalypse : « Alors je vis […] un Agneau […] portant sept cornes et sept yeux, qui sont les sept esprits de Dieu […] Et je vis une femme, assise sur une Bête écarlate […] portant sept têtes et dix cornes ». Rappelons que les têtes équivalent à des collines, des rois, etc. A nous d’imaginer à quoi pourraient correspondre les caractéristiques des monstres de Novarina. L’apparition, dans le Nouveau Testament, de la notion de Sainte Trinité relève aussi de l’extraterrestre : il faut imaginer, en effet, une entité de ce troisième type, possédant un corps et trois têtes dont une d’oiseau pour figurer le Saint Esprit. Hésiode n’est pas en reste qui dans sa Théogonie propose ce genre de ce description : « De leurs épaules jaillissaient pour chacun cent bras difformes : ils avaient chacun d’eux cinquante têtes, nées de leurs épaules ».

Quant à Lucien, d’aucuns disent de lui qu’il fut le précurseur de la science-fiction et de fait, dans son Histoire véritable, voici comment il décrivait les étonnants « Lunaires » : « la barbe […] pousse un peu au-dessus du genou. Ils n’ont pas d’ongles aux orteils, et tous n’ont d’ailleurs qu’un seul orteil. Au-dessus de leurs fesses pousse une feuille de chou. […] Ils utilisent leur ventre comme besace […] l’intérieur en est tout velu et hérissé de poils […] »308. Comme chez Novarina (qui a peut-être lu Lucien), certaines parties peuvent s’ôter du corps ; ainsi, « leurs yeux sont amovibles, ils les enlèvent à volonté et les mettent de côté jusqu’à ce qu’ils aient besoin de voir. Il y en a beaucoup qui, ayant perdu leurs yeux à eux, en empruntent à d’autres pour voir ». Pour l’ouïe, elle existe aussi chez ces Sélénites : « Leurs oreilles sont des feuilles de platanes, sauf pour les êtres nés de glands : ceux-là, mais eux seuls, ont des oreilles de bois ». Concernant la sexualité, « cela se passe dans le creux du mollet ; c’est là que se trouve l’orifice » – conséquence logique : « Lorsque l’embryon est conçu, le mollet grossit […] puisque, là-haut, c’est le mollet qui conçoit, et non le ventre » (décrivant à son tour les Sélénites dans Les premiers hommes dans la Lune, Wells les rapprocha plutôt, lui, d’insectes géants au « cou […] articulé en trois endroits »).

Notons encore, pour procéder chronologiquement et évoquer rapidement le moyen-âge (temps de licornes, de griffons, de mandragores et autres salamandres) que les dragons peuvent, en plus d’être imaginaires, posséder deux têtes comme dans le Merlin de Robert de Boron et qu’avec Le Drame de la vie, c’est peut-être en présence d’une nouvelle Légende Dorée (Saint Martien, etc.) que nous sommes : plus sérieusement, Novarina est sans doute le Voragine (nom d’ailleurs évoqué dans la pièce) de nouveaux martyrs comiques, à savoir tous ces personnages : Saint Jean Loch Ness par exemple, « ce dragon fou furieux d’écossais » (F., p.610) mais aussi le soldat Michel Baudinat, Louis de Funès, Jeannot, Jean Terrier, etc.

Notes
308.

Lucien, Histoire véritable in Daphnis et Chloé (Longus), Folio-Gallimard, 1973, pp. 123-123.