3.5.3. De la parole considérée comme un Alien

Devant la Parole, qu’elle soit novarinienne ou pas (tout le monde en a un jour fait l’expérience), on peut être saisi, effrayé, impressionné par la multiplicité des possibilités qui s’offrent à soi pour exprimer quelque chose : pourquoi dire ceci ainsi alors que cela pourrait l’être de mille autres manières ? L’auteur répondrait peut-être que si l’on dit ceci plutôt que cela, c’est tout simplement parce que l’on est parlé ; en cela, la parole est assimilable à Dieu : c’est Dieu, et ce Dieu-là a quelque chose d’aussi monstrueux qu’Argus, Méduse ou Protée. Face à cette terrible parole, nous sommes un peu comme Œdipe redoutant les énigmes du sphinx ou (pour faire allusion à une célèbre œuvre de "fantasy") comme Bilbo tremblant face à Smaug.

Le démiurge, quant à lui, se présente comme un montreur de monstres, le Monsieur Loyal d’un cirque de mutants (des X. Men comiques ?) et nous donne surtout à voir cette monstruosité de la langue, qui, comme un alien, nous rentre littéralement dans la chair et nous possède corps et âme : si l’origine est rouge, c’est du sang qu’il aura fallu verser pour se laisser transpercer. La création novarinienne est à l’image de cette violence fondatrice : malgré le comique grotesque à l’œuvre dans les mangeries monstrueuses qui y sont suggérées, Le Drame de la vie reste sauvage, barbare et archaïque (un peu comme de la "dark fantasy" sans aucune concession). Quant à La Lutte des morts, c’est une guerre des mondes, un livre chaotique, apocalyptique. Malgré des apparences plus policées, La Chair de l’homme n’est pas plus tendre et toutes les autres pièces nous entraînent orphiquement dans des contrées parfois dangereuses pour l’esprit, Novarina semblant suivre les traces de voyageurs imprudents tels que Dante, Lovecraft, Artaud, Poe, Verne ou Michaux. Quant aux figures de style étudiées, ce sont plus ou moins des effets spéciaux qui nous font voir et même sentir, toucher la Parole ; cela dit, l’art performatif novarinien n’est pas toujours celui de l’illusion comme on l’a vu notamment dans le cas très concret de certaines opérations du langage comme la métaphore, le paradoxe, l’oxymore, la permutation ou la suppression-adjonction.