3.5.6. « Macro et Micro » : de quelques effets swiftiens

Plus littérairement, d’autres personnages évoqueraient plutôt les effets de disproportion à l’œuvre chez Swift dans les Voyages de Gulliver, voire, dans l’exemple qui suit, les travaux d’Hercule et l’Atlas-Cosmophore : « un homme qui tire le monde avec sa tête […] il avance à toute force dans le monde physique qu’il plie comme un roseau » (D.V., p. 294). De même, dans L’Opérette imaginaire, au lieu de « tirer le diable par la queue », on tire Dieu « par un câble » (p. 45).

Dans cet autre exemple, étant donné le chiffre astronomique évoqué, on serait plutôt dans le Micromégas de Voltaire : « J’ai la tête à six cent mille kilomètres de mes pieds » (D.V., p. 291), phrase comparable à « je me pendis moi-même en me voyant d’avion » (D.A., p. 7). On invente même de nouveaux chiffres astronomique comme, dans Le Babil des classes dangereuses (p. 239), avec les « Marmillards de billons ». Comme chez Beckett, le corps est parfois très loin (dans L’innommable, il est en Australie), ce qui pourrait expliquer des phrases comme « Plus rien parvient à mes naseaux » (S., p. 164) : on n’est plus là pour rien sentir, on a le nez ailleurs, peut-être en Australie : tout cela ne nous concerne plus.

L’oxymore du « Nain Gigant » nous rappellera une phrase d’Hugo : « Il y avait de l’Antée dans ce pygmée ». Quant à l’association macro/micro, elle se retrouvera dans l’image des « huit cent cubes dans sa tête d’épingle » (D.A., p. 187). Dans Le Drame de la vie, on croise un poupon gras de trois cent kilos (p. 136), un personnage argussien possédant « douze millions d’orifices » et une mère ayant » trois cents enfants qui tonitruent » : dans les trois cas, on part d’un personnage a priori humain et on lui attribue les caractéristiques d’un organisme de type animal – pachydermique ou autres (œufs de poissons, têtards des grenouilles, etc.) – ce qui introduit un décalage grotesque et monstrueux. C’est qu’ici, tout est affaire de point de vue ; ainsi (S., p. 27) : « A Moellesullaz, de la viande vient d’être identifiée à la frontière Vorace. Un gramme selon les manifestants, huit cent dix kilos selon les inspecteurs » (supposons qu’on est dans un monde où la viande remplace la drogue ; soit c’est un pays très pauvre, soit ses habitants sont en général strictement végétariens). Plus onomastiquement, les « Mangeurs Ouranique et le « grand gobant » sont encore des évocations susceptibles de donner le vertige ; par opposition, le « vieil Adam parlé », un et nu, paraît bien dérisoire.