1.1.3. Le chant des sirènes

Tel Molière, le dramaturge fonctionne donc un peu (mais sans jamais se présenter ainsi) comme un moraliste dont l’humour, la parodie et la caricature constituent l’arsenal rhétorique privilégié. Ici, en effet, nulle ironie : la critique est frontale voire absolument dénuée de finesse : on va droit au but et on ne fait pas de quartiers. Si elle est (du moins : à notre avis) très moderne et formidablement efficace, cette absence (voulue, assumée) de finesse est peut-être tout de même critiquable dans la mesure où elle élude une dimension importante : celle de la séduction du chant des sirènes en question, de ce charme qui opère parfois même lorsqu’on est conscient de la bêtise des programmes proposés.

En fait, cette séduction trouble, dangereuse, ambiguë voire inhumaine existe chez Novarina mais elle est sans doute plus présente sur scène que sur le papier, les mouvements des Machines étant parfois très beaux voire géométriquement fascinants – idem pour le phrasé des acteurs qui a lui aussi quelque chose d’envoûtant.

Quoi qu’il en soit, on ne peut pas dire que Novarina fonctionne comme Ulysse, ce « Grec de la décadence qui ne mérita jamais d’être le héros de L’Iliade » (dixit Blanchot dans Le livre à venir) : il ne veut rien entendre du chant de ces sirènes et choisit presque de se boucher complètement les oreilles. Ce refus est rendu possible et s’explique par sa culture (la Bible, la théologie, les philosophes, Beckett, Artaud, etc.) qui lui permet d’opposer quelque chose de très fort au pouvoir médiatique actuel mais aussi tout simplement par son age (idem pour Bukowski, cité plus haut et pestant homériquement contre le petit écran) : il n’est pas né avec les six chaînes, le câble, le satellite, Canal plus, la T.N.T., le magnétoscope et le D.V.D. Sans avoir l’air de rien, cela change beaucoup de choses : Novarina connaît la télévision mais il ne l’aime pas, voyant trop bien (grâce au recul dont il est capable) le danger qu’elle représente : les écrivains plus jeunes (notamment ceux qui, nés en 2000, vont prochaînement se faire connaître), forcément immergés dès le biberon dans le bain télévisuel, peuvent-ils et pourront-ils avoir la même approche de refus catégorique ? Sans doute – mais ce seront des exceptions.

Autre aspect à signaler : l’oppression médiatique est peut-être en train de changer de formes et de canaux : pour une certaine jeunesse adepte d’Internet et de jeux-vidéo, la télévision est presque devenue un objet caduc voire préhistorique. Si cette tendance se confirme dans l’avenir, les Machines à dire Voici continueront, quoi qu’il arrive, à faire rire mais comme continuent à nous faire rire Aristophane et La Bruyère, c’est à dire pour des raisons profondes, universelles et qui ne sont pas forcément liées à une époque en particulier.