1.3.3. « Debord, les mous ! »

Sur la scène de L’Origine rouge, notre croisé Anti-T.V. semble organiser une sorte de combat à mort entre sa propre langue et le jargon télévisuel ; il montre par là qu’il est possible, réalisable d’opposer un autre rythme à celui qui nous imposé. De ce point de vue (social, politique), le travail d’un artiste tel que lui est sans doute primordial ; « [on] va vous moucher les esprits » : ce pronostic terrible – mais poétiquement exprimé (et qui pourrait équivaloir à "on va éteindre les (L)umières") – s’applique sans doute à ce que pense Novarina du médium en question.

Bref, la rhétorique anti-T.V. est ici très claire, sans ambiguïté, radicale : il s’agit de tirer à boulets rouges et de ne pas faire de quartiers : « Mort à la mort ! » semble le mot d’ordre, le cri de guerre approprié, la mort d’en tête, l’assoupissement, l’avachissement, l’abrutissement généralisé ou pour citer Jarry : le grand Décervelage, la débulbisation programmée… De ce point de vue, la parole novarinienne est un signal d’alarme et fonctionne comme un puissant réveil : "Debout, les morts !" voire "Wake up !" (ou « Debord, les mous ! » pour citer Verheggen) est ce qu’il semble nous hurler, son cri étant celui d’une contre-sirène aux accents étranges ou d’un comique gibbon plein d’effroi qui, face aux chasseurs, tient à rester en vie et à prévenir les autres. Signalons pour finir que si l’on en croit la mini-biographie publiée chez Corti, Novarina aurait réellement, concrètement détruit un appareil de télévision, montrant par cet acte digne d’un punk très énervé que sa haine, non du média en tant que tel mais de la manière dont on l’utilise, n’est pas juste une figure de style : « 1994 : – Février. Brise devant son fils David effrayé un poste de télévision ».323

Notes
323.

Gérard-Julien Salvy, « Vie de Valère Novarina », Valère Novarina. Théâtres du verbe, op. cit., p. 363.