2.2.3. Un univers martial

Dans cet atelier-là, la rhétorique à l’œuvre est souvent celle, martiale, militaire d’une garnison où il est formellement interdit de tirer au flanc : « Inspection ! Inspection ! Tout le monde debout !» (p. 17). Juste après, une didascalie nous renseigne sur la réaction des soldats en question qui obtempèrent prestement : « Les employés se mettent à nouveau en rang ».

Le droit à la paresse est ici une utopie, une vue de l’esprit : « Il faut organiser une grande semaine nationale de lutte anti-paresse. » (p. 41).La notion de travail semble même contenue dans le nom du patron : c’est que de Boucot à Boulot, il n’y a qu’une suppression-adjonction – une opération similaire pouvant faire de Boucot un bourreau (ou plutôt un "Bourot"). Au reste, comme on l’a fait remarquer précédemment, il suffirait juste d’un ajout de syllabe pour passer de Boulot à Boulotter…

Pour sortir de cet enfer, d’aucuns pourront avoir recours à la prière : « O Gambetta, O Barbusse ! Tirez-nous d’là, tirez-nous d’ici ! » (p. 48) – rappelons que, si le Bar de Bardamu vient du nom Barbusse (le da, de Dabit et le mu, de Ramuz), cela a sans doute à voir avec l’antimilitarisme plus ou moins explicite de celui qui écrivit Le Feu (et du "je" du Voyage au bout de la nuit) ; de même, la mention d’un tel nom dans L’Atelier volant n’est certainement pas (idem pour Gambetta) sans significations pour Novarina.

Uniforme et matricule (qui sont le propre de l’armée) se retrouvent un peu dans le côté dépersonnalisé des employés du Général Boucot : ces derniers n’ont pas de noms ; ce ne sont que des lettres : A, B, C (dans Le Prisonnier, c’était des numéros et le but de la série était un peu le même : critiquer cette déshumanisation passant par le langage). Dans cet univers martial, même le loisir s’apparente à un travail où il s’agit d’être performant : « Comment acquérir dans cette minute de repos une intensité maximum de vie privée ? » (p. 31). Parmi les employés, on se rend bien un peu compte du paradoxe qui consiste à travailler pendant les vacances – « quelle différence entre ici et là-bas ? » (p. 39) – mais, décidément, l’entreprise, l’esprit d’entreprise (le libéralisme ? la globalisation ?) et le dieu Argent (Memnon eût dit Voltaire) sont omniprésents ; usine ou plage, peu importe : pour le « Bouc », « tout ce qui entre fait ventre » et ce terrifiant Oncle Picsou pourrait faire sien le célinien proverbe : « Est sérieux ce qui n’est pas gratuit ».

Et c’est ainsi que Boucot pourra, à l’occasion, s’apparenter à un grotesque animateur de Club-Mickey venant jusque sur la plage harceler ses malheureux employés ; même en vacances (et surtout si le congé est payé), il s’agira de faire marcher le commerce et c’est pourquoi Madame Bouche se déguisera, elle, en « marchande de souvenirs de plage (éponges, ballons, filets, étoiles de mer) » dans l’espoir de grappiller encore « quelques centimes ».