2.3. Métiers absurdes

Sans parler forcément de l’usine, on peut tout de même se poser parfois, devant tels ou tels métiers, telles ou telles fonctions la question de l’absurdité et de l’incongruité ; dans La Chair de l’homme par exemple, quand l’ingénieur Leblanc pose à l’ouvrier Séraphique la question « Que faisais-tu ? », ce dernier lui répond :

‘Œsophagiste, agent d’agence […], bigoudiste, barbapapiste, caissière-surface, coiffeur SNCF, commercial azimut, couturier-fraiseur […], empileur-tube, escarmouchier, gardien de moi, inconnu stagiaire, loteriste, montreur-cuisine […], ramasseur-bureau […], saisisseur-saisie, secrétaire-vapeur […], taxi-taxiste […], secrétaire-polycarpe […], chauffagiste vivant, darvouineur, boulotteur d’eau […], enfant de service […], rangeur de tout […] dompteur conjugal […], moniteur d’espoir, vendeur-survie […], mainteneur au sol […], minimum vivant, stopiste isolant, vecteur de ladre, comparateur à chaud, sectateur client […], visiteur-produit, électro-dentiste, suiveur-client […], plâtrier-limbes, vérificateur-bouchons, champion de soif, chien de golf, choisisseur- matières, moisisseur-misère, motivier d’opinion […], secrétaire-surface, sous-secrétaire sous-sol, ficeleur de sphères, poseur de bouts […], sinistrier […], sembleur parfait […], chutiste, moteur-tourniste, un point-toutiste.’

Il y a peut-être aussi, de la part de l’auteur, comme une critique en passant de cette manie actuelle qui consiste à être incapable de nommer un chat un chat ; ainsi, l’idée d’un « ouvrier de tombe » sera peut-être un jour adoptée dans la réalité pour désigner le travail du fossoyeur ou du croque-mort. Idem pour le « suiveur-client » pour désigner les personnes chargées du service après vente. Le « commercial azimut », lui, est sans doute un représentant très mobile et le « dompteur conjugal » un psychanalyste aux méthodes musclées. Quant au « motivier d’opinion », on verrait bien l’expression s’appliquer à un publiciste spécialisé dans les campagnes politiques (affichage, choix des slogans, etc.).

Dans Je suis, le travail est dit « vexant » (p. 56) et le thème de la recherche d’emploi, abordé : « puis je fis un tour dans l’Industrie en Charcuterie à Blatigny-Olida » (p. 180); ici, Blatigny-Olida est sûrement un nom d’usine ; mais ne pourrait-ce pas être le nom d’une ville associé à une marque ? Dans Le Discours aux animaux (et dans La Chair de l’homme), le "je" novarinien n’arrive pas vraiment, si l’on peut dire, à se fixer, allant d’un métier (?) à l’autre et on pourrait presque y voir une métaphore de l’homme passant, au cours de sa vie, d’états en états sans avoir la possibilité véritable d’avoir une action sur son destin.