2.4. Au bout du boulot : la déshumanisation

Une autre métaphore possible de l’aliénation par le travail, c’est celle de la machine-humaine. Ainsi, dans L’Atelier volant (p. 118), un personnage s’exclame « j’en ai plein les roues », comme s’il n’avait plus de jambes ou comme s’il s’était assimilé, incorporé à la machine. De même, dans Le Drame de la vie (p. 142), on croise un « homme au ventre gonflé d’essence » (« Je suis plein » se plaint-il) et un « Autocrate angoissé » qui « se serre la pompe ». Trois pages plus loin, un autre personnage demande : « regardez-moi plutôt l’huile, vérifiez-moi toutes les pressions : mes pneus sont fatigons ». Bref, si l’homme est rempli, ce n’est pas forcément d’essence divine – même si la « pompe qu’on m’a injecté dans le fond » est une vision pneumatique évoquant aussi le cœur et la respiration.

Ce thème très particulier, cher au cinéaste David Cronenberg, aurait d’ailleurs pu être évoqué par nous dans la partie de cette thèse consacrée à la science-fiction novarinienne ; il fera notamment retour dans L’Opérette imaginaire : « Car ça va bien ça-va-bien-mieux / En l’disant sur mes quat’pneus […] / Car tout va bien mieux / Si j’retombe sur mes quat’pneus ! » (pp. 51-53). Quant à l’idée d’une société conduisant à une déshumanisation, ou plutôt à une dépersonnalisation de l’individu, elle se retrouve peut-être onomastiquement, mais ne l’affirmons pas, dans le « Thierry Lambda » de L’Origine rouge (p. 38). Dans L’Acte inconnu (p. 25), les « Lambdas » constituent même un peuple à part entière – peut-être un peuple où tout le monde se ressemble. Dans la même pièce (p. 58), un représentant d’Adam déclare « J’adhère aux Peugeot, Ford, Nissan » (ailleurs à « Susuki »), autre manière de dire sa dépendance à la machine. Ailleurs (pp. 89-90), c’est l’absurde vanité d’un automobiliste qui est pointée du doigt :

‘Exogène, toi qui as décidé d’éclairer ton garage toute la nuit pour que les rats admirent ta Mercedes – ton squelette sera dispersé comme une carrosserie lancée en poussières et semée sur des bretelles d’autoroute sans issue. ’

Bref, l’atelier novarinien n’est peut-être pas « volant » (ce qui peut suggérer l’idée d’un tapis magique, toute une rêverie poétique ou un voyage dans l’imaginaire comme celui de Nils Holgerson) mais bel et bien "violent" : comme pour La Lutte des morts (/mots) ou L’Origine (/Orifice) rouge, le titre cache peut-être autre chose – et en l’occurrence une réalité, celle du travail, très dure, très violente.