Comme Gatti, Céline ou Artaud, Novarina ne supporte pas l’altruisme de façade (« l’humanisme de pacotille » dit Christine Ramat 330 ni l’hypocrisie sociale et politique ; c’est ainsi que le Produit National Brut devient le « Produit Egoïste Brut » dans Vous qui habitez le temps (p. 89), nouveau cas intéressant de suppression-adjonction.
Dans un même ordre d’idée, c’est, dans L’Acte inconnu, « le Trésorier d’Après moi le déluge » que l’on croise, à la page 62. Un parti politique est appelé « Démagogie libérale » dans La Scène (p. 63), pièce où une organisation comme l’Otan est présentée comme un pays unique, l’« Otanistan », ce qui est aussi assez iconoclaste, tout comme peut l’être la façon qu’a l’auteur de dénoncer la mascarade humanitaire (cf. « Médecins sans scrupules », « Profits sans frontières », « péril humanitaire », « Ténèbres humanitaires ») et ou de se moquer en passant de rallyes comme le Paris-Dakar à travers (in O.R.) le raid Elf Authentique Aventure (dont l’organisateur s’appelle Gérard Fusil).
Notons que, comme souvent, Novarina se fait l’écho (lorsqu’il ne les annonce pas) de réalités très actuelles : lisant un article véritable concernant les aides apportées à un pays d’Asie en partie dévasté par un raz de marée, on aura même pu tomber, avec la mention « invasion humanitaire », sur une expression paradoxale et tout à fait novarinienne – idem pour le concept horrible de « pédophilie humanitaire », expression littéralement terrifiante mais que l’on peut aussi entendre sur les ondes. De même, il faut savoir que la phrase « Elle glisse sur une frite et attaque le fast-food » (que pourrait dire une de ses machines) correspond bel et bien à la réalité d’une nouvelle véritable : tout n’est pas donc si fictif que cela dans les inventions proposées – et à plus ou moins long terme, une sorte de confusion pourra même s’instaurer (c’est en cela que Novarina nous paraît assimilable à un auteur de science-fiction). Dans un même esprit potachiquement iconoclaste, le prix Nobel de la paix devient celui « de la guerre froide » ; d’un « montant de cent-mille valousiats or », on le décerne à « Jean-Gaspard Portuleau », qui le remet aussitôt à « sa consœur poitevine Arlette Grosjean » (S., p. 74).
De façon plus générale, la politique en prend pour son grade (cela barde pour son matricule) ; ainsi, le discours (d’état ? de sous-préfecture ?) pourra faire l’objet de parodies, comme c’est le cas, nous semble-t-il, dans La Chair de l’homme aux pages 105-106 où, après l’annonce de Jean qui mange et Jean qui dit (cf. « Allons nous asseoir au plafond. Son Président Mâchon de Jambistronc va vous faire une petite déclaration. Voici. »), le président des mangés prend la parole pour vanter son programme :
‘Je suis votre président : je m’adresse en mangeur à l’assemblée des mangés : Mettez-vous tous ces instants à la place du ventre. Achetez du porc et mangez bon. Les meubles pour s’asseoir vont extrêmement bien. Votez la vie c’est la même chose. Mangez ceci prenez ça. Les produits que nous mangeons sont extrêmement bons. Nos paroles sont parlantes à nos corps corporels, et cela a du vrai et cela a du bon. Hé du plancher : attention au plafond ! Hé du plachefer : action à marcher ! Manger de la viande de chez Peugeot. Mangez de la viande de chez Robert Grosse Tête. Ne laissez pas acheter n’importe quoi par quiconque. Sinon : dites stop à la vie moche et Vive Saget ! Mettez-vous des tubes, trouants-et-remplissants. Ne vous laissez pas acheter cette viande : c’est toi-même ! ’Un peu plus loin (cf. « nous vous remercions »), on prendra congé du « Président » qui, en guise de conclusion, de coup de grâce ou d’estocade finale, semble encourager ses administrés à une consommation tout azimut ; à la question « dites-nous maintenant quelles sont les intentions de vos conditions ? », il répond « Mangez, mangez » – vaste programme !
Dans L’Opérette imaginaire, quand on se plaint d’avoir voté pour un « type qu’était à d’mi pimplo », c’est que la main a été comme forcée d’une manière ou d’une autre, légale ou pas. Il y a chez certains responsables politiques des cas de démence avérée : « Le ministre de l’Agriculture vient de décider de mettre feu à l’environnement » (S., p. 36). Enfin, sans parler vraiment d’attaques ad hominem, l’auteur parle souvent de personnages existants (ce que remarque aussi Olivier Dubouclez331), qu’il s’agisse de Giscard, de Lecanuet, de Chirac, de Voynet ou de Chevènement, la présence de tels noms tendant à prouver que le monde décrit n’est pas si pataphysique que cela – de même, la fameuse « force tranquille » se retrouve un peu dans les arguments du candidat Fuchsia : « Le juste milieu. Le mélange des deux. Ouvrir les portes fermées. Lutter paisible ».
Christine Ramat, « Opérette théologique, théologie d’opérette : les paradoxes d’une dramaturgie spirituelle », La bouche théâtrale , op. cit. p. 92.
Olivier Dubouclez, Valère Novarina, La physique du drame, op. cit., p. 80.