3.3. Presse populaire et voyeurisme

A travers le journal qu’il jette (pour ensuite s’en faire un chapeau de papier), A. s’adresse peut-être à la presse de façon générale : « Reculez, vieux flambeau ! Feuilles creuses, ailes trompeuses, regagnez les sous-sols et jonchez les carreaux » (A.V., p. 98). Le quatrième pouvoir sera encore évoqué à travers le fait divers comme traité dans Détective (et sur certaines chaînes ou stations de radio) mais avec un voyeurisme rendu comique tant les compte-rendus paraissent absurdes ; ainsi dans L’Origine rouge (pp. 137-138) : « une jeune Auxerroise vient de réussir l’exploit de ramener à pied le cadavre de son grand-père depuis le péage de Ravenne en suivant l’autoroute ». Il semble en effet que, très souvent, on en rajoute dans l’horreur, Le « Voici » des Machines devient « Voyez » dans le déjà évoqué « Voyez les corps des cent quarante petites victimes allongées dans l’ordre » ; voici ce qu’on n’hésite plus à nous montrer, la suite («  Dans le sang encore frais, Marie Bouchoux ») jouant le rôle de cerise sur le gâteau. De même, on mélodramatise à souhait les reportages de guerre :

‘Emaciés, décharnés, tremblants de soif, tenaillés par la faim, avec les os leur sortant affreusement des deux parties des côtes, les yeux profondément engoncés tout au fond au milieu des orbites, les enfants mâles des milices burgondes viennent de passer la frontière luxembourgeoise où ils ont été rapidement exécutés sous les quolibets de la foule. ’

Quoi qu’il en soit, comme souvent chez Novarina, rire et horreur font bon ménage : « Un enfant de trois jours vient d’être atrocement mutilé par la dorsalisation effectuée in vivo sur le bambin par son pédiatre et parrain, présumé ami de la famille » (S., p. 27). Mais c’est aussi à un certain journalisme faisant appel aux bas instincts de l’homme (curiosité malsaine, goût du morbide, etc.) que s’en prend l’auteur – dans un même ordre d’idées, qu’un journaliste de L’Origine rouge (p. 37) s’appelle « Jean Dindonneau » n’est pas forcément très flatteur pour la profession qu’il représente.

Autre aspect évoqué par Novarina, la rhétorique à l’œuvre dans les publicités pour les voyants, médiums et autres marabouts se retrouve un peu à la page 105 de Je suis ; de fait, si certains lisent dans le marc de café, « l’homme à horloge » se réfère lui aux « paroles écrites en lettres fond-de-la-soupière ». Il sera encore question de prédictions et d’horoscope à la page 203 de Je suis :

‘Heureux les Béliers ! Taureaux : les horloges ! Balances : gare à vous. Et attention les Lions ! Sagittaires : attention aux Lions. Tout beaux, les Verseaux !’

Dans La Scène (p. 36), c’est la rubrique des chiens écrasés qui pourra surprendre : « A Evreux-sur-Iton, un chien a été tué par le poids de son propre cerveau l’écrasant net ». Quant à la rubrique des naissances – comme celle du « petit Philibert », que « Philippe et Jean-Baptiste sont heureux de [nous] annoncer ») –, des décès (« Il a plu à Dieu de rappeler à Lui son falsificateur Benoît Marchisseaux ») et des annonces de suicides (comme celui de Jean-Noël, qui est prévu « pour demain ») –, elle est hilarante aussi (S., p. 33).

A un moment de La Scène, ne l’oublions pas, Laurence Vielle déplie concrètement un journal (c’est même l’image qu’on retint pour l’affiche du spectacle) : l’information (et tout ce qu’elle véhicule) ne passe donc pas seulement par les Machines : elle est partout (les pancartes passantes étant une autre modalité), cernant Adam de toutes les façons possibles et imaginables. Le « Y a trop de tout » de La Scène s’applique aussi à cela : au fond, la Machine (à slogans, à nouvelles, à informations) fonctionne partout et tout le temps – d’où « un incessant bruit de moteur », dans le ciel et sur les mers (S., p. 64) mais aussi en soi (S., p. 65).