3.7. L’anxiété alimentaire

Les grand magasins se nomment de noms comiques comme « Occidorama » ou « maxirama » (O.R., p. 11), « Pothidorama » (O.R., p. 12) et « Confitorama » (S., p. 17) – mais, car décidément rien n’est sûr, affirmable, ce sont peut-être (le suffixe "rama" semble l’indiquer) des salles de projection cinématographique ; cela dit, les supermarchés présentent aussi une sorte de spectacle dont les produits sont les acteurs parfois "vus à la télé" et éventuellement starifiés-sanctifiés par la publicité.

Dans cette manière d’évoquer une nourriture monstrueuse et dangereuse, le « placenta de la mère » côtoie les « biftèques transgèniques » – mais heureusement, pour faire disparaître tout ce fatras, les « gens d’la poubelle » (des éboueurs ?) sont là (C.H., p. 277). Concernant ce terrible « placenta de la mère », c’est peut-être une réminiscence d’Artaud, ce dernier dépeignant un « monde où on mange chaque jour du vagin cuit à la sauce verte ou du sexe de nouveau né » 333; chez Novarina, le ton est moins terrible mais le propos l’est au fond tout autant ; ce que stigmatise Artaud, c’est un monde où l’homme n’a plus de respect pour l’homme et où l’on fait n’importe quoi. Novarina, de ce point de vue, prend le relais d’Artaud. D’ailleurs, plus concrètement, les problèmes de nourriture recomposée, artificielle pourront trouver écho chez lui (dans L’Origine rouge, notamment) ; de fait, l’idée revient souvent que dans les produits « ingurgis » (pour s’inspirer d’une apocope novarinienne), il y a peut-être de l’homme. Dans La Scène par exemple, ce qu’il y a dans « le frigo » (p. 29), c’est « un morceau de mon père pénultien laissé là par mégarde ».

Bref, il y a ici une véritable « anxiété alimentaire » (B.C.D., p. 168), forme assez nouvelle de paranoïa même si le peuple (qui se voit comme un « peuple des morts » en puissance) semble avoir la « tragédie de la maladie dans les trompes » : peut-être en rajoute-t-il donc dans la « traga » (L.M., p. 456). Cette « traga », c’est surtout celle de « l’homme de Surabond » (D.V., p. 121) qui préfère la quantité (fût-elle industrielle) à la qualité et se précipite aux « restaurants automatiques » (D.V., p. 108), périphrase possible pour fast-food. Quant à l’américanisation, elle concerne aussi l’onomastique, avec un prénom bizarre comme « Jean-Donald » (A.I., p. 64) qui évoque encore, quoique plus vaguement, une fameuse chaîne de restaurant.

Notes
333.

Antonin Artaud, Œuvres complètes XII, op. cit., p. 13.