3.8. La vacuité de la pornographie

Autre aspect important du monde moderne et de la société de consommation, la pornographie semble présentée comme un mirage dans L’Atelier volant (pp. 130-131-132), à travers l’apparition de Madame Bouche « déguisée en affiche ». Devant l’image en question (le verbe utilisé dans la didascalie nous renseignant peut-être sur sa réaction sexuelle proprement dite), l’employé A., « somnambule victime de l’apparition se dresse » :

‘Ciel, cette voix, ce fantôme dans mes rideaux… Rose affiché, va-t-en ! Fourche, comme elle est fichée : lippe ce panneau laqué, planté à mon sortant ! Arrête : vise les miches de c’t’oiseau à ficelles ! Retournez au dehors, fausse présence !’

L’attitude de l’employé pourra rappeler celle d’un Saint Antoine, pris de vertige, saisi par les visions. Quant aux « ficelles », si elles évoquent vaguement des accessoires de lingerie (soutien-gorge, jarretelles, etc.), ce sont peut-être aussi de grosses ficelles (et on sait quel sens peut-avoir le mot "ficelle" lorsqu’il est utilisé comme un adjectif). S’ensuit, juste après, tout un défilé de créatures absentes et présentes à la fois, certains des noms de guerre cités pouvant d’ailleurs nous évoquer des surnoms de strip-teaseuses :

Salut Miss Zabôô ! Sofia Paladium ! Wanda Monopolka ! Rosa Fumetto ! Candy Capitol ! Prima Symphony ! Bonita Super ! Diana Westminster ! Vicky Toboggan !… Salut habitantes de la piste !

Là encore, il y aurait donc cirque et numéros, Madame Bouche se lançant même dans un hallucinant poème en prose qu’on pourrait dire auto-promotionnel quant aux charmes divers de sa personne :

Salut à tous ! Salut à vous, tous les loucheurs ! Messieurs voyez ma roue et ma bouche au sommet !
Rose au pan plaqué de mes panneaux, ouvre ton cœur en grand sous l’anneau que je plante, au verso de leurs draps que hante encore, mordante, ma face sombre et pâle.
Vous, lames, hampes de haute taille, piétons errant hors des pousses, rangez vos hanaps, et prenez garde à la canne de mon filant !
Je bois, chers cœurs… Pâles louchants, ouvrez vos cœur au pan !
Je passe plus haute que vous toutes, têtes rêveuses tendues.
Voici la reine, passants, tendez le cou, que je vous mène ou je veux.
Voici la reine des buissons, oiseaux des villes, levez le cil vers mon.
Oiseaux, tombez dans le panneau de mon corps systématiquement agrandi mais resté rose. Mon corps, tombe, jamais.

Puis, on assiste à une discussion surréaliste entre l’affiche et l’employé : « venez-vous claquer, corps d’ici » dit-elle et : « voulez-vous croquer mon rein ? »… A cette invite, A. répond « Quel rein ?» et le dialogue se poursuit :

MADAME BOUCHE. - Est-ce que je porte ma croupe comme une reine ? Ici ! Venez vous flanquer sur le flanc laqué de mon. Je suis la reine de papier, viens, marche, je suis la reine de pied : aux quatre coins je m’ouvre à tous les becs.
A.- Quels becs ?
MADAME BOUCHE. - Pour vos becs !… Je parle à la ville, dans l’oreille de la pie ».

On a ici l’image d’une pornographie toute puissante, qui surplombe tout et s’affiche sur les murs de manière immodeste et écrasante :

MADAME BOUCHE. – […] silence bonhomme trop bas ! J’expose à ras, jamais qu’une face, j’ouvre une peau au sommet.
D’ici, lisse, rase, peau déroulée, haut perchée pour pas qu’on me touche le chéri ! j’offre l’image aux huit couleurs de la rose : de blanc-chou à rose-mou, de blanc-reine à rose-tronc, je
tiens la pose sur le mur, une ou deux cuisses croisées.
A. - Oh Madame !
MADAME BOUCHE. - En bas, en vrac, en larmes perdus, tendent le bec - beaux yeux bandés - quelques oiseaux songeurs, songeant à me peindre quelques moustaches ou poils… (Je désigne par là certains piétons de l’espèce trou et du genre bande à Trouduc, silence !) Plusieurs voudraient me rentrer dans le chou. […]
A.- Beaucoup de très beau papier… Mais à brouter toujours aussi peu.
MADAME BOUCHE. - Mange tout le temps que tu veux ce beau corps des yeux. Si tu as faim voici ma peau que l’on t’offre en peinture. Vas-y ! Je sens déjà dedans ta dent d’épingle, dans le désert.
A. - Vous n’êtes pas logique ! ».

Il ressort de tout cela une sorte de dégoût, de lassitude, une saturation, une exaspération, une amertume et même une sorte de torpeur de la part du regardeur qui ressent pleinement, tragiquement, la vacuité de toute forme de pornographie.