Sans entrer dans des considérations d’ordre peut-être intime (« Je rôde toujours autour de ma naissance, ne la comprenant pas » dit-il dans un entretien avec Philippe Di Meo334, , il nous semble que l’auteur étudié aborde assez souvent le thème de l’origine : le simple et plat constat de cette récurrence serait parfaitement anecdotique s’il ne le faisait pas d’une manière au moins très singulière. Or c’est bel et bien à un extraordinaire voyage vers l’origine que nous convie Valère Novarina…
Certes, on connaît les réponses de la science et celle de Brisset ; et on sait bien que de nombreux autres littérateurs ont, eux-aussi, inventé des cosmogonies – fussent-elles portatives335 (ou aussi comiquement métaphysiques que celles d’Italo Calvino dans les nouvelles composant le recueil Cosmicomics 336 ). Pourtant, la réponse poétique novarinienne nous paraît briller d’un éclat décidément particulier.
Là encore, il part de la Bible, mais, comme à chaque fois chez lui, pour aller un peu ailleurs. Ici, l’ouvrage à considérer en priorité est peut-être Le Discours aux animaux où la rhétorique biblique classique est complètement chamboulée. Ainsi la phrase « En ces temps -là, nous n’étions que Trou et boue » (p. 135) semble correspondre à un état antérieur à l’origine proprement dite, c’est l’époque où « l’Homme de Trou-Bohu » était fait de « glaise de glas » ; rien encore n’était vraiment joué, décidé ; c’était le flou(/trou) artistique le plus complet. Mais l’idée d’un éternuement aux vertus performatives et d’un klaxon(/clairon) voire d’une trompette militaire met fin à cet état de choses ; c’est Dieu, qualifié de « couac »(p. 156), qui fait donc son office. Le sens de cette violence faite au néant réside possiblement dans l’injonction « Que la matière soit ! » (c’est à dire, sans doute, s’anime, se mette en branle), phrase ou le concept biblique de lumière est remplacé, par suppression-adjonction. Ailleurs, le monde est dit craché. On l’a comme expulsé – mais d’où ? De quel autre monde ? De quel organisme ?
Bref, Jean Lampion arrive et tout s’illumine, « suite à la suite de quoi » Adam et Eve entrent en piste, vêtus non d’une grappe de vigne, mais d’un nom qu’ils portent au devant d’eux, comme la parole qui leur sort de la bouche en rubans sans qu’ils y soient pour rien. La parole est ici un traumatisme comme nombre d’aspects (« J’en gluais de peur, j’en sorti bleu ») de l’origine et de la naissance : chez Novarina, l’acteur (l’homme ? Adam ?) est celui qui « parle comme un animal surpris de parler » (P. M., p. 73) ; s’il s’est redressé, c’est « pour entendre », et ce à cause d’un certain marionnettistes nommé « Parole », agissant par en dessous comme une main. Or donc, on assiste sur scène, au miracle de la parole, au « mystère de parler » (P.M., p. 8). Ici, « parler est un drame » (P.M., p. 8) et le drame, celui de la vie : « [l]’Enfant Séminal, l’Enfant Alarmant et Jean Hyquiandre s’étonnent d’être » (J.S., p.44).
Valère Novarina, « Le Théâtre séparé » (réponses à huit questions de Philippe Di Méo), Le vrai sang, op. cit., p. 15
Raymond Queneau, Petite cosmogonie portative in Chêne et chien, op. cit., p. 93.
Italo Calvino, Cosmicomics, Points-Seuil, La Flèche, juin 1988.