2.4. Evadam dans le Jardin

Dans Le Jardin de reconnaissance, la parole est ce qui relie le toi au moi, la Femme Séminale » (Eve ?) au Bonhomme de Terre (Adam ?), une « membrane vivante » (p.42). Mais cette parole liée à la vie d’homme, au métier d’homme, n’est pas forcément si bien venue : elle inquiète et semble ici liée à une forme de malaise et de mal-être ; bref, il y a de la rébellion dans l’air (« Je hurla pour n’être pas » lance-t-on dans Le Discours aux animaux). Dans cette pièce, Adam et Eve n’arrêtent pas de se demander la cause de leur être-là(/entrelacs) car ils sentent bien qu’ils sont et seront indissociables jusqu’à la fin des temps– parfois pourtant, la membrane se distend : ils ne sont plus tout à fait au même diapason mais se retrouvent toujours réunis à un moment ou à un autre, à l’image de l’enlacement dans La Scène d’Agnès Sourdillon de Jean-Quentin Chatelain.

Très logiquement, cette dualité parfois problématique et l’idée même de dualité se retrouve souvent dans Le Jardin de reconnaissance : « Nous sommes deux en nous-mêmes qui formons cette poussière dont le son est resté pour parler » (p. 55). Le couple est parfois présenté trivialement, regardant des émissions stupides ou accomplissant des corvées domestiques, mais que la Femme Séminale trouve parfois presque romantiques, comme lorsqu’elle s épanche pour dire au Bonhomme de terre : « J’aime le soir quand tu dis : as-tu descendu les poubelles du poubellium ? » (J.R., p. 56). Dans La Scène, le couple originel est encore présenté sous un jour original :

‘"Les ossements d’Adam et Eve retrouvés dans un paradis fiscal." Canular ou réalité ? se demande le quotidien rouergotte L’Essor de Sodomir dans son numéro daté du premier avril. Notre enquête de nos enquêteurs (pp. 69-70).’

Dans L’Opérette imaginaire (p. 75), la « pomme » devient une (nouvelle) « donne ». Quant au « jugement serpentin » (J.R., p. 8), s’il évoque le « serpent qui dépasse » de Tardieu et peut-être surtout la corde de pendaison, il semble qu’il ne soit guère favorable au « vieil animal parlé » (P.M., p.19). Et « le chien Hume-ton-crime » (J.R., p.13) semble lui rappeler sa faute, l’animal en question rappelant un peu le « crabe-c’est-ta-faute » de Césaire mais aussi ce personnage qui au moment des parades triomphales en char, rappelait aux empereurs "tu n’es qu’un homme", "ne l’oublie pas", etc. Il y a en effet comme un œil derrière soi, un sentiment diffus de malaise devant ce Dieu/Méduse que l’on ne saurait voir. L’inquiétude est là, la terreur voire. Une voix (intérieure ? extérieure ?) signifie en gros que « rien gît ici comme ça devrait », phrase où semble exprimer le désir d’un nouveau départ (ou d’un nouvel essai). Car enfin, à cause peut-être de la pomme et du « nulle pattes » ou de certain « trou sympathique » non idoine, rien ne va plus.