3.2. Gag et miracle

Ici, le miracle sera souvent rapproché du gag : il sera burlesque et surprenant – comme on l’a vu pour l’iconoclaste « Portrait d’Abraham en escamoteur de foire » (l’agneau devenant une bouteille). A en croire Christine Ramat, évoquant La Scène dans un article, le gag à coloration /connotation biblique pourra même être trivial et métaphysique (« c’est un frigo qui ouvre sur la vie éternelle », etc.)352.

Ici, « Lève-toi et marche » pourra s’appliquer à soi et bénéficier d’une sorte de rallonge tout à fait insolite : « Lève-toi et marche, marche-toi et lève ! Et maintenant va : tu peux aller. Ainsi lui dis-je. Et j’allai. » (D.A., 170). De plus, ce type d’invite performative ne s’adresse pas forcément à un être humain : « Levez-vous, pierre des cailloux, choses du talus, dans la gloire du parlant » (p. 258), ce qui ressemble un peu à « Levez-vous, orages désirés ». Le « Lève-toi et marche ! » se retrouve encore à la page 148 de L’Origine rouge dans « Seigneur, emporte cet homme non vers la mort mais vers la vie ! Qu’il ne gise plus, mais danse. Qu’il prenne cette planche et marche ! ». Autre miracle parodié :

‘Alors il se pencha sur lui, l’éponge, l’essuie, efface les traces de sperme et de monotonie, lui lave la bouche à grande eau et crie dans les oreilles : « DEBOUT, HOMME MORT ! ENTRE A LA VIE ! » (D.V., p. 199). ’

De même, le performatif « Sur cette pierre, je bâtirai mon église » trouve un écho décevant dans « Ces pierres ne sont que des cailloux » (J.S., p. 142). Pourtant, « pierre » est rapproché de « prière » même si ces mots (des cailloux ?) sont sans mains, ce qui rend l’opération difficile : « Tu as juste des pierres dans ta main. » Bref, ici, le miracle est un peu raté mais « on s’arrange » (comme on dit chez Sade). Dans Le Drame de la vie (p. 271), on évoque une « trompe à faire apparaître des actions à l’envers » qui se présente un peu comme un appareil (qu’aurait possédé Jésus ?) pour accomplir des prodiges, la machine en question étant peut-être à l’origine du « miracle des aliments de Saint Jean » (D.V., p. 36) et du « miracle de l’érection du sang » (D.V., p. 89), miracles non vraiment consignés dans le Nouveau Testament. Rendu possible par l’ingestion de l’hostie et la manducation de la parole dans la liturgie classique, le miracle de la communion avec le divin (et vice-versa) sera rendu plus concret et plus spectaculaire avec la chute des pains du ciel dans La Lutte des morts (p. 301), pains tombant comme une manne céleste à mettre en relation avec le corps du Christ descendant parmi nous. Quant à l’injonction de Jésus à ses apôtres de propager la Bonne Parole, il devient dans L’Origine rouge (p. 56) : « Allez maintenant prévenir toutes les personnes qu’il n’y a personne dedans ! » (il n’y a personne mais c’est ce qui fait que le souffle divin peut passer). Dans L’Opérette imaginaire (p. 142), ce sera : « Que chacun aille maintenant parler à blanc dans une solitude parlée ».

Pour clore le chapitre, disons ceci : c’est au fond le principe même du miracle qui peut être considéré comme comique et c’est aussi cela que nous rappelle Novarina. De fait, il semble qu’on ne soit jamais très loin d’un tour de passe-passe comme celui de la scène des signes figurant dans l’Exode – après l’épisode plus connu du bâton (qui « devint un serpent » devant lequel le prophète « eut un recul »), on peut lire en effet :

Yahvé dit encore à Moïse : « Mets ta main dans ton sein ! » […] lorsqu’il la retira, elle était recouverte de lèpre […] Yahvé lui ordonna : « Remets ta main dans ton sein ! » […] lorsqu’il la retira, elle avait recouvré l’aspect du reste de son corps 353 .

Bref, ce qui est à l’œuvre, c’est exactement le même sentiment de surprise et d’incompréhension que dans le gag ou le tour de magie, parenté rendue encore plus sensible dans les mises en scène ici proposées.

Notes
352.

Christine Ramat, « Opérette théologique, théologie d’opérette : les paradoxes d’une dramaturgie spirituelle », La bouche théâtrale, op. cit., p. 88.

353.

Exode, 4-17.