3.5.4. Les ailes en bois

Dans L’Acte inconnu, la crucifixion du « pauvre enfant cloué » (p. 44) est résumée dans une chanson iconoclaste qui n’est pas sans rappeler la Complainte du libre arbitre de Jules Laforgue, celle-ci évoquant notamment « le méchant soldat / Romain qui m’molesta / Quand j’étais su l’Golgotha »  : là (pp. 147-148) : chez Novarina, Jésus se voit désossé (« On joua ses os aux dés) » et ses vêtements mangés (dans la tradition biblique, ils sont juste distribués), ceci dans le cadre d’une sorte de fête orgiaque à caractère macabre (« On s’reput dedans son sang ») ; ce détrônement est peut-être un passage obligé et la condition sine qua non pour que le message passe et que la résurrection s’accomplisse : « Par son sacrifice comique / Il nous enseigne la pratique / De rouvrir pour en finir / Toutes les portes pour resurgir ». Par ailleurs, on pourra estimer qu’il se confond complètement avec Dieu (« Il m’a pris dedans ses mains / Pour me faire en être humain ») et même avec Marie, Véronique, etc. Notons enfin (c’est dit dans Les cendres) que l’image de « Celui qui fixa les étoiles au ciel » vient d’« un hymne de l’Eglise d’Orient, entendu chanté un matin à Saint-Julien-le-Pauvre », nouvelle preuve que Novarina est attentif au sacré (c’est même un érudit en la matière, un véritable connaisseur).

Pour au reniement de Saint-Pierre, il ne sera pas oublié lui non plus : « Je parlai plus, ni moi non plus. Pas plus qu’une pierre quand elle le nia, quand le coq moche lui marcha dessus. » (D.A. p. 235). Autre scène revisitée : on ne sait si c’est dans cette possible blessure qu’on trouvera guérison mais il sera en tout cas question d’un « grand trou dans l’aile gauche » dans lequel on peut «[mettre] la main et passer deux bras très facilement », ce qui rappelle le geste et le scepticisme de Saint Thomas.

Dans des pièces moins récentes, la mort toute relative de « L’Homme de Crucifon » était également évoquée comme dans Le Drame de la vie (p. 137) où le Christ est nommé d’une manière certes énigmatique mais qui correspond bel et bien à la tradition biblique : « Dieu poussa le jardinier dans la tombe » (D.V., p. 150). Dans L’Espace furieux, on a comme une pique à Jésus lancée par une sorte de nouveau Saint Thomas : « une fois après sorti, il est trop tard pour réapparaître ». Quant à « Monsieur Cloué a comme des ailes en bois » (O.R., p. 164), c’est comme une réflexion enfantine non dénué de profondeur : ce sont ces ailes qui l’empêchent de voler qui font que l’oiseau monte au ciel : sans croix, pas de Dieu. Dans « Allez les marteaux ! » (in A.I.) s’exprime presque un désir d’être cloué pour que l’envol puisse avoir lieu. Bref, cet "inriste" qu’est Jésus est encore victime de blagues et de saillies mais c’est une manière connue de mettre en relief et en lumière la grandeur de Dieu.

Autres visions iconoclastes : celle des « chiens porteurs de croix » (O.R., p. 21) et celle de « chiens de garde du monde visible » (O.R., p. 68), s’opposant aux Séraphins des derniers cercles. Quant à l’aphorisme « Toute vraie lumière revient d’une mort », il s’applique sûrement ici à la résurrection voire à l’Assomption. L’idée de résurrection (de Jésus ? de Lazare ?de façon générale ?) est peut-être évoquée dans « l’Homme sortant du tombeau » qui « s’éloigne » dans Le Jardin de reconnaissance mais aussi dans la « Chanson des relevailles » (« – Revivre, revivre ! ça m’enivre ! ») de L’Opérette imaginaire (p. 41) et dans une scène comique de cette même pièce avec toute une rhétorique relevant également du « dialogue avec un mort » (p. 43), dont il nous faudra reparler plus tard.