Dans le Cantique des Cantiques, la métaphore un peu absurde des « faons » (« jumeaux d’une gazelle », etc.) pour désigner la poitrine de la femme aimée – mais il est vrai que cette dernière, la femme aimée, est peut-être elle-même une métaphore (du peuple juif ? de la terre promise ?) – semble remplacée par la périphrase moins flatteuse des « blagues à tabac tombant sur tes estomacs » (in O.I.). Certaines formules de ce genre sont donc développées de façon parodique – et cela concerne en particulier les pronostics terribles ; ainsi, dans Le Drame de la vie : « Vous entrerez en grande angoisse et boirez le bouillon de minuit. » (p.230).
Dans un passage de L’Origine rouge, Novarina, qui traduisit le prophète Amos, réactualise comiquement (« salles de musculation », etc.) la malédiction biblique ; cette scène d’anthologie, véritable morceau de bravoure novarinien, consiste à maudire les villes de France mais on peut trouver des dispositifs de ce genre dans d’autres pièces, La Chair de l’homme par exemple (p. 167), comme avec les terribles prédictions du Bécédaire Irophon :
‘Plafond vous tombera : sol s’en ira sous vos pieds. Les objets que vous échangez contre la chair dont vous faites partie et qui est votre pâture en la mâchant, n’aurons plus aucune valeur : le monde pour lequel vous vous passionnez n’aura rien de foncièrement vrai. Sa matière est en obscurité : vous vous écroulerez vifs dans ces assiettes. Vous vieillirez à vue en mangeant ; vous vous interrogerez à tort à coups de questions posées par les mots […] vous finirez par la mort que vous vous êtes inventée […].’Puis, le Second Irophon (son nom évoquant l’ire) en remet une couche (si l’on peut dire) :
‘Vous sortirez de ce repas les pieds par là : l’estomac du monde souffrira de vous avoir supportés jusqu’ici ; l’os du monde vous frappera dans vos face ; vos yeux seront couverts de boue ; vos langues colleront à vos palais et les cinq doigts de vos deux mains devront attendre pour se décoller lendemain et surlendemain ; vos pieds ne pourront soulever du sol ni vos jambes, ni vos poumons aspirer l’air qui s’y trouvait ; vos yeux n’auront plus aucune vue ni vos oreilles rien entendu ; vos pas ne vous suivront plus sauf pour vous diriger toujours vers une sortie dont votre tête ne se souviendra même pas car vos oreilles n’auront pas écouté ; vos cerveaux dont les lobes seront dévorés seront la proie de cruels vers […]. ’On peut rire ; mais ce qui est dit là, cette sortie du repas, ne correspond-t-il pas en fait en partie à la réalité d’une mise en terre ? Notons par parenthèse que Lautréamont procédait parfois un peu ainsi dans Les Chants de Maldoror ; lui-aussi s’inspirait de la Bible et la parodiait (idem, semble-t-il, pour Céline avec les infectes « patates » de Mort à crédit), mettant notamment en scène des fléaux plus ou moins inédits comme, celui, déjà évoqué dans cette thèse de l’invasion par le pou (remplaçant la sauterelle, en quelque sorte) :
‘ Si la terre était couverte de poux comme de grains de sable le rivage de la mer, la race humaine serait anéantie, en proie à des douleurs terribles. Quel spectacle ! Moi, immobile dans le ciel, avec mes ailes d’ange, pour le contempler. 361 ’Lautréamont, Les Chants de Maldoror (Chant deuxième), Poésie/Gallimard, 1991, p. 89.