4.2.4. « Diouble » : Allah est grand / Dieu est petit

Dans toutes les formules citées ci-avant, on pouvait déjà noter bien des paradoxes ; citons encore « celui qui n’est rien en aucune chose, mais qui amena le monde ici. » (J.S., p. 144). Bref, ce dieu vide, inexistant, « nullissime » est aussi puissant, terrible et très impressionnant. Dieu, c’est « Jean qui peut » (D.A., p. 224) ; c’est le « centre et la circonférence de tout » (D.A., p. 223), un qui « passe les douanes » (D.A., p. 225) et qui « [a] changé les pierres en rocher, les rochers en caillou, et leur terre en nous » et « qui [changera] ensuite tout en poussière » puis « tout en lumière » (J.S., p. 260). Dans L’Acte inconnu, une autre image sera mise en avant : « Ta parole ouvre les pierres » (p. 158).

Dieu pourra même user de son infini pouvoir d’une façon cruelle et impitoyable – c’est que Dieu […] mord » (D.V., p. 101), ce qui l’associe presque déjà à la mort que cause sa morsure (dire que "Dieu mort", c’est comme dire que « [la] lumière nuit ». Le châtiment divin sera donc, tout naturellement, un des thèmes du Drame de la vie : nous en reparlerons dans « La coquille morte du mot Zeus » mais sans mais citons ici et à titre d’exemple :

Dieu pour le punir le gonfla et rendit son pantalon muet (D.V., p. 103).
Pour le punir de ses sonnettes, pour le punir et le soumettre, Déol l’a balafré, scié le nez avec sa corde, saigné la face toute par dedans. (D.V., p. 102).

Quant au personnage qui « a mangé du jambon en pleine messe » (D.V., p. 199), il ne faut pas donner cher de sa peau – d’ailleurs, lui-même n’en mène pas large : « Regarde comme il est timide : il baisse les yeux ». On pourra donc pester contre la dureté de ce Dieu-là. Cela se retrouve souvent, que ce soit dans des chansons de type comico-jobien ou des formules au sens éventuellement (car nous n’en sommes pas sûrs) désobligeant :

Dieu est erreur (D.A., p. 55).
Dieu est un couac (D.A., p. 156).
Dieu est un fou (J.S., p. 64).

Dans L’Acte inconnu, L’Homme Nu (alias Jean-Yves Michaux) trouve pourtant des charmes à cet aspect inquiétant de la divinité : « Viens, Messie ! J’apprécie sa cruauté. Il me défait. Il respire en moi-même à ma place » Cruel, son silence et son action : invisible. C’est une autre manière de dire que la lumière nuit. Autre image évoquant un peu, elle, le mythe moderne de King-Kong : « être broyé avec toi dans la main de Dieu » (A.I., p. 137).

Nonobstant, ce Dieu terrible, vengeur, jupitérien est aussi présenté parfois comme une entité faible, un enfant, un être blessé, débile, dérisoire. Novarina nous rend cette dualité sensible à travers son oeuvre ; la vulnérabilité divine se retrouvera en effet dans des images où on « Le » présente gisant « dans son sang » (D.A., p. 194) ou « blessé en trois et restant sur son quant à lui » (D.A., p. 177). Dans le « chien qui s’est perdu en moi » (V.Q., p. 91), on retrouve un peu l’image d’un Dieu petit qu’on peut accueillir en soi – ici, Dieu est d’ailleurs sans doute un chiot ou un caniche voire un Yorkshire, ce qui rappelle les définitions de Thiéfaine qui propose, lui, un rapprochement avec un « fox à poil dur » et de Serge Pey « [psalmodiant] que Dieu est un chien dans les arbres ».

L’image d’un "Dieunimal" qu’on porte en soi se retrouve peut-être (in V.Q., p. 96) dans l’image d’un « animal à l’intérieur de nous » (« une lumière qui sorte de vous et qui ne soit d’aucune matière sauf d’être allumée ») et, moins sûrement, dans l’utilisation du verbe « se tapir » (qui rappelle éventuellement le tapir) dans « Dieu est tapi en vous, en moi, en toi. » (V.Q., p. 91). Autre image à évoquer ici et puisée, elle, dans L’Acte inconnu (p. 122) : « l’animal qui me mit bas » (dont on entend la voix dans l’oreille).

Autre métaphore possible d’un Dieu petit (voire portable) : « Dieu était en moi comme une boîte d’allumettes un cadavre en bois » (in J.S.) ; ici, entre le bois et les allumettes, nous sommes en présence d’un véritable brasier en puissance. « Dieu est en voyage dans ma tête » lira-t-on à la page 107 de Je suis ; à la page 56 : « Dieu disait : « J’habite en moi et en toi, parallèlement : tu es mon temple, parallèlement ». Cette présence en soi du divin dont il s’agit bien sûr de se réjouir – car enfin : « Dieu est en moi et en joie » (J.S., p. 112) – est tout de même un peu problématique : quel est cet Alien ? « Quelqu’un est-il parmi nous ? Si oui, qu’il dise. » (J.S., p. 113).

Cela posé, c’est bien l’image d’un enfant qui séduira le plus notre théologien comique : « Dieu est un enfant qui n’a rien fait et qui rit pour un rien. » (D.A., p. 288). La phrase « Dieu est petit » est présente dans Le Discours aux animaux (p. 180), mais aussi dans Le Drame la vie (p. 101) où elle est suivie de la question « Et comment te sens-tu maintenant que tu l’as dit ? »(qui sera reprise dans La Scène). Pour appuyer cette thèse d’un Dieu petit, Novarina cite Dietrich Bonhoffer : « Seul un Dieu faible peut porter secours. » (C.H., p. 391). La dualité en question (grandeur/petitesse, force/faiblesse) concerne aussi Jésus car ici et pour associer novariniennement deux adjectifs utilisés par Christine Ramat pour désigner le « Roi des épines », il semble que nous soyons en présence d’un Christ "piteux-glorieux".