4.2.5. Souffle et lumière : Je suis est un néon

Si je suis, c’est que je suis vide, donc à l’image d’un néon. Je suis vide donc je suis. De même, si la « bête » est vide, c’est pour une excellente raison : « il faut que la nuit soit en moi pour que la lumière soit. » (J.S., p. 85). – « Je suis » est donc un néant et un néon, le problème étant, pour « l’enfant de la lumière », outre qu’elle « nuit », une certaine « soif du noir ». Quoi qu’il en soit, le souffle (de vie) est donc souvent associé à la lumière : ce sont deux manières très proches d’évoquer Dieu, le divin et l’énergie divine ; dans Je suis (ce qui n’est guère étonnant étant donné le titre), les rapprochements entre les notions de souffle et de lumière ne seront pas rares : « lumière » sera même rapproché de « premier instant », de « cri » et de « toujours » dans une même phrase (in J.S., p. 74).

Le souffle en question ne provient certainement de l’homme (« nous sommes la nuit de tout ») : « Elle n’est pas porteuse, la tête : elle n’est d’aucune lumière » (D.A., p. 267). L’auteur ira jusqu’à dire : « Nous ne sommes pas […] : c’est seulement l’être qui passe en nous. » (J.S., p. 73), ce qui rappelle le « je ne peins pas le personnage, je peins le passage » de Michel de Montaigne. Bref, il s’agit de se faire néon, de se laisser traverser par la lumière, à l’imitation de Jésus (nom ressemblant beaucoup à « Je suis ») qui fut le néon parfait ; concrètement, son néon fut « Inri », soit « Ici » pour l’Exégète Sacripant – et surtout « né myope-né ».

L’image sera parfois humoristique : « Néon disait : Robomatic – Escalator – Sortie Poindreau » (J.S., p. 180), notation triviale qui renvoie à l’emploi habituel, soit informatif, du néon en général – "pour dire ça, c’était peut-être pas la peine de s’allumer" pourrait-on suggérer à ce type de néon. A l’image de cette réflexion absurde, on pourra en effet se déprécier en tant que néon : « moi qui méritait même pas la parole dont on me parla. » (J.S., p. 108), « Je suis en lampe abominable » (J.S., p. 123). La liturgie le dit : « je ne suis pas digne de te recevoir mais dis seulement une parole et je serai béni » ; c’est, nous semble-t-il, exactement de la même chose qu’il s’agit – de même, devant la Lumière, ce que l’on élève, c’est sa poussière (V.Q., p. 78).

A la page 160 de Je suis, le crâne (ou « bête vide ») est assimilé à une pierre au milieu de la figure ; or, la prière qui suit s’adresse à Celui qui « est en glaise de lumière » (D.A., p. 127) et qui nous fit être pour ne rien voir (surtout pas lui) : « Emettez les pierres », c’est à dire : « Donnez-nous votre lumière pour que s’allument les ampoules » : bref, c’est une autre manière, assurément moderne, de parler de la grâce.

A l’heure de mourir, lorsque le crâne ne crânera plus, la lumière quittera nos yeux ; viendront alors épitaphes et oraisons : redevenu néant, « [le] pauvre néon « Je suis » maintenant est éteint » (J.S., p. 174) ; ou : s’il « fait tout noir dans nos ténèbres respiratoires », c’est qu’il « n’y a plus aucune lumière à l’intérieur de la lampe du corps ». (J.S., p. 87). Dans le néon, c’est la lumière qui dit « Je suis » mais c’est aussi dans le sens de "Youhou ! je suis là ! il s’agit d’être !"… C’est beaucoup plus qu’un encouragement ; c’est le sens de la vie : « La lumière est le cri toujours visible du premier instant qui dure toujours. » (J.S., p. 74). Ici, la lumière est donc dedans – mais elle peut aussi, plus classiquement, être devant comme celle d’un phare ; c’est le cas dans L’Acte inconnu : « Dieu me sert de lanterne et de licou » (p. 31). Cette lumière est aussi celle que dispense le soleil pour aider les plantes et tout être à s’épanouir : on est loin de l’image d’un Dieu néfaste ; Dieu, ici, n’est pas du côté de l’entropie – c’est tout le contraire : « Dieu ordonne le chaos » (A.I., p. 168) mais cela peut encore se renverser et le chaos peut reprendre ses droits, ce que suggère sans doute le rembobinage du fil en « soahc el ennodro ueiD » (cf. banderole réversible).

Dans La Scène (p. 67), on accuse la « Lumière » de nous accabler de « ténèbres » : présentée ici de façon paradoxale, la lumière est aussi comique – en tout cas, il semblerait qu’il existe bel et bien un « soleil du rire » sous le signe duquel il faut toujours se placer et auquel Céline était sensible (« quelle lumière dans notre affreux ciel ! » écrivait-il au Pasteur Löchen), tout comme semble l’être Valère Novarina.

Retravailler à l’infini cette image de la dive lumière en la modernisant à l’occasion (néon, boîte d’allumettes, etc.) permet à l’auteur d’enrichir, souvent très originalement, une tradition théologique très ancienne mais aussi tout un corpus d’expressions contemporaines éventuellement populaires comme  "être éteint" et "un allumé". Novariniennement parlant, Adam est allumé puis éteint, allumé puis éteint et allumé-éteint jusqu’à la fin des temps – le message sous-jacent est aussi comme une incitation à s’auto-allumer (quitte à passer pour un illuminé un peu allumé sur les bords) au lieu d’être complètement éteint : c’est qu’il faut peut-être alimenter un peu ce feu intérieur, cette lumière qui gît en nous dans la demeure fragile-tragique du corps et qui clignote à la manière d’un néon, qui serait donc respiratoire. Un autre auteur a su parler avec talent de la lumière, et en se plaçant un peu sur le même plan que Novarina, c’est Malcolm de Chazal écrivant dans Sens-plastique: « La couleur est un prêche ; la lumière est une messe. La couleur nous instruit de la lumière ; la lumière nous instruit de Dieu ».