4.3.2. « Plancher, soutenez pieds »

Dans la prière novarinienne, il y a souvent de l’inquiétude : on voudrait que les choses restent en l’état ; cela va parfois très loin, on en devient paranoïaque : « Terre qui êtes là, soutenez nos pas » (J.R., p. 89). La peur du vide est telle qu’on voudrait avoir l’assurance qu’il y ait toujours quelque chose en face de soi (« Monde […], sois la terre devant moi » demande-t-on dans L’Opérette imaginaire, p. 44) et sous ses pieds : le plancher est-il fiable ? La terre est-elle sûre ? Quid du sol ? Bref, on voudrait avoir « preuverie de la réalité » (J.R., p. 40) et l’assurance qu’un autre jour viendra : « Souhaitons aux lendemains d’avoir lieu » (O.I., p. 143).

De même, dans L’Origine rouge (p. 30), il semble qu’aller de l’avant soit problématique (autour et en soi, c’est le chaos) mais on s’encourage en lançant « Monde, constitue en nous un tout qui fasse globe, et continuons ! » : vaille que vaille, le funambule poursuit la traversée. Aux pages 56-57, on cherche encore à se raccrocher aux branches :

‘Avoir sous la main un vrai mur, ou sur la table une assiette vraie, ou sous sa chaussure sa semelle de chaussure, ou sous sa semelle ce sol-ci : cela me semble une seule même et unique certitude. ’

La prière permet peut-être d’apaiser cette peur du vide. La confusion en question s’applique aussi au corps (va-t-il répondre aux sollicitations ?) : « Mon Dieu, faites que son pied agisse ! que sa main préhende, que son corps fasse des siennes, que sa pensée reste au logis ! » (S., p. 108). Hélas, certaines parties (toutes en fait) restent sourdes à ces prières, surtout la « coquine de tête » : « es-tu hors de moi ? Réponds, cerveau crevé ! » (O.R., p. 108). Les mots ne sont pas moins terribles : » O mon dieu, fais que le mot chien n’aboie pas ! » (S., p. 119).

Qu’elle soit inquiète ou parodique, la prière est donc un dispositif très important dans l’œuvre de Novarina. Chose révélatrice, L’Opérette imaginaire commence par une prière au public (« demeurez attentif ! »), aux murs (« fermez limites ! »), au plancher (« soutenez pieds ! ») et au plafond (« protège-nous du soleil et des multitudes de la pluie ! ») ; on note encore, page 143 : « monde […] : attends-moi là ! monde, terre-toi devant moi ! Attends là, monde et terre-toi devant moi. Monde, déterre-moi ! ». Dans L’Origine rouge, on s’adresse à la matière : « Mère, ma matière, enlève-moi d’être ! (p. 117). Dans La Scène, on prie pour disparaître :

[…] souffle-moi dans les naseaux ! Souffle-moi comme un pion ! (p. 59).
O seigneur, lorsque tu arraches de ce monde l’herbe inutile, commence par nous (S., p. 74).

On aspire à une libération : « Libère-nous, Seigneur, de ce qu’il appellent la réalité bis » (S., p. 47) : c’est un autre type de prière : on n’a plus peur, on veut aller ailleurs, mourir ou accéder à un nouvel état. Dans L’Acte inconnu, c’est l’espace qu’on remercie : « Sois béni espace qui nous contiens » (p. 17). Une certaine inquiétude reste de mise : « Perpétuel trou du monde, es-tu toujours devant ? Tombe, es-tu là quand je marche ? » (p. 154) : même la mort n’est pas sûre. A la page 172, on émet le désir être gobé par Dieu (« Seigneur ! », etc.) : « Je t’offre le pain de ma chair, je suis ton hostie ». On note aussi une prière d’exaspération à la page 130 » Cessez-moi d’parler ! », un peu comme si une ampoule demandait au créateur « Eteignez-moi ! » – et novariniennement, c’est de cela qu’il s’agit.