Sade l’avait compris, que Sollers (et avant lui Breton) présente (entre autres) comme un auteur comique : l’excès peut faire rire. C’est ainsi que dans les vies de saints (Voragine, etc.), il est parfois des détails qui peuvent éventuellement susciter en nous le désir paradoxal de rire tant va loin le désir de pureté chez certains martyrs s’auto-martyrisant : dans ses refus obstinés (du sexe, de la nourriture, du plaisir en général), Saint Antoine (surtout quand c’est Flaubert qui le décrit) a presque des allures clownesques ; de même, et pardon pour l’anachronisme, Saint Benoît fait littéralement du fosbury dans les ronces et les orties dans un souci de mortification ; il est cependant moins radical qu’Origène – quant au cilice de Simon, c’est bien simple : il lui interdit tout mouvement (ce qui, transposé au théâtre, pourrait faire l’objet de jeux de scène sado-masochistes comme on en trouve parfois chez Fernando Arrabal). A contrario, si l’on part des clowns, on pourrait également se dire que la création des Restaurants du Cœur, par son caractère altruiste et généreux, fut le fait d’un sorte de saint portant nez rouge.
En outre, ça et là, on croisera dans certaines pièces (mais surtout dans Le Babil des classes dangereuses) des saints ne figurant pas du tout dans le calendrier – des saints de ce type, Jarry en inventa comme « St Birbe », « St Sagouin », « Ste Girafe », « Ste Asperge », « St Grumeau », « St Bol », « Ste Tignasse », « St Anal », « Ste Crapule », « St Dumolard », « Ste Bouse », « Ste Goutte », « Ste Cartouche », « Ste Choucroute », « Ste Merdre », « Ste Purée », « St Sein », « Ste Oneille », « St Hurluberlu », « St Patrobas » et « St Lazare (gare) »365, Verheggen imaginant de son côté « Sainte Marie Brizzard » et « Cintre Costume, Patron des vêtements » sans oublier « Joseph d’Arithmétique ». Quant à Novarina, les saints qu’il imagine ont pour noms « Saint Poutre » (B.C.D., p. 177), « saint Micmac » (B.C.D., p. 320), « Saint Gobat » (B.C.D., p. 204), « Saint Hebdomant » (B.C.D., p. 208), « Saint Clopant » (B.C.D., p. 187), « Saint Plafond » (B.C.D., p. 247), « Saint-Cochon » (B.C.D., p. 178), « saint rayon » (B.C.D., p. 170), « saint martyr de potassium » (B.C.D., p. 170), « Sainte Bille » (B.C.D., p. 188), « Sainte Braguette » (B.C.D., p. 256), « saint Bob » (B.C.D., p. 190), « Saint Jean Peau de Femme » (B.C.D., p. 508), « Saint Guignol » (B.C.D., p. 342), « saint Tronçon Futrique » (B.C.D., p. 509), « Saint Edmond Voragine » (D.V., p. 56), « sainte Sylvie Blatte » (D.V., p. 162), « sainte Manducation » (D.V., p. 189), « saint Dieu » (D.V., p. 56), « Saint Jean des Litres » (D.V., p. 195), « Saint Sang » (D.V., p. 47) sans oublier « Saint Chien », « Saint Cagibi » et autres « saints de glaces » (B.C.D., p. 170), autant de dénominations qui pourront amuser et faire sourire, tout comme « Notre-Dame des Climats » (A.V., p. 129), « Marie aux effets » (D.V., p. 189) et « La Madone des Disproportions » (J.R., p. 90), personnage très important dont il est aussi question dans Demeure fragile.
Or, ce n’est pas vraiment dans ce sens qu’on peut parler de sainteté comique ou de sainteté du clown dans l’œuvre de Novarina. Les deux textes qu’il faudrait ici mettre en avant sont bien sûr Pour Louis de Funès et Demeure fragile dans lesquels l’acteur burlesque est assimilé à un saint homme, un sage détenant de précieuses vérités, bref un être communiquant avec le divin et qu’on pourrait rapprocher du Zarathoustra de Nietzsche (qui était déjà un ready-made) voire, par son côté « toupie humaine » se livrant à une sorte de « folie circulaire », de la secte des Derviches Tourneurs.
Alfred Jarry, « Calendrier du père Ubu pour1901 », Tout Ubu, Le Livre de poche, 1962, p. 395 et suite.