2.1.4. La coquille morte du mot Zeus

Nommé et défini de mille manières dans les livres de Novarina – Beckett, en son temps (dans L’innommable), parla du « tout impuissant » (et Céline, d’un « cochon avec des ailes en or ») –, Dieu est certes dans ce corps-néon nommé « Je suis », dans la « tête d’ampoule » d’Adam ou la présence du soleil, « cette tête […°] allumée pour nous », tête dangereuse comme celle de Méduse et qu’il ne vaut mieux pas regarder en face : « Si j’avais vu Dieu, j’aurais plus mes yeux », cette métaphore s’appliquant aussi au prophète traversé par la Parole et perdant du coup ses anciennes perceptions.

Devant la puissance encore trop jupitérienne de ce Dieu pourtant chrétien a priori, il convient en effet (et pour parler grossièrement) de se tenir à carreau : on n’a pas envie qu’Il nous « [lance] un jet de venin à travers la figure pour [nous] faire disparaître ». De fait, on n’est pas loin ici des Métamorphoses d’Ovide, qui sont presque toujours des châtiments émanant de dieux ou de déesses passablement énervés : « Pour le punir […], Dieu […] lui refusa la figure », etc.

Quant à la parole, elle peut même tenir lieu de foudre : c’est en tous cas ainsi qu’elle semble présentée dans Les cendres ; en procédant à une coupure cavalière, on peut en effet lire à la page 88 : « La parole […] est un coup d’éclair, une foudre : les mots n’évoquent pas, ils tranchent, fendent le rocher ».

Bref, ce Dieu là reste très grec et, quoique doté de pouvoirs surnaturels (foudre certes, mais aussi faculté à modifier tout être à sa guise, y compris soi-même), « humain très humain » : on n’en a donc pas tout à fait fini avec Zeus car si la coquille du mot est dite « morte » dans Les Cendres (in E.E.), il semble que Jupiter fulmine encore en lançant des éclairs et en se montrant toujours aussi susceptible : « Pour le punir d’avoir parlé, Dieu lui a fait une tête de bête sur un corps d’homme ». Il ne supporte pas qu’on blasphème – c’est ainsi qu’un homme est « puni de pendaison pour avoir dit pendant la messe que Dieu était Dunlop » (D.V., p. 110), etc. Novarina nous le fait réaliser à travers son œuvre : les anciens dieux ne meurent jamais vraiment – même s’il leur arrive de changer de noms. En cela, il est proche d’Hölderlin qui, rendu fou par la culture (l’hypothèse est cavalière mais il nous semble qu’elle mériterait d’être explorée), essaya de concilier la trinité et l’ancien panthéon. Autre Dieu terrible, Chronos fait partie de la mythologie proposée, mais de façon encore une fois implicite, ce qui fait écrire à Christine Ramat :

Quand Dieu fait sa première apparition dans Le Drame de la vie, c’est pour engloutir une grande quantité de spécimens humains. Sa cruauté rappelle celle de Chronos, mais aussi la fureur tonitruante de Yahvé qui vient renverser les idoles. 378
Notes
378.

Christine Ramat, Valère Novarina. La comédie du verbe, op. cit., p. 206.