2.1.6. Œuvre-Janus et mythologie panique

D’autres Dieux de l’Olympe seront évoqués ça et là : aux pages 48-49 du Drame de la vie, il y a comme un croisement entre Neptune et Pluton avec « Nepton » (devenant « Recton », dans « royaume de Recton ») et Nuton (dans « royaume de Nuton »)- en partie produits par « contrepet penaud » (sinon, on aurait Nepton / Plutune). Quant au « Train de terreur » dans lequel monte Krapon (A.V., p. 110), il s’appelle « Le Royaume de Neptune ». Toujours dans L’Atelier volant (p. 110), on parle métaphoriquement du vin présenté comme le « bon jus de la treille, ce beau don de Bacchus ». La figure d’Athéna enfantant semble sous-jacente dans L’Origine rouge : « Ma tête accouche maintenant toute vive d’une pensée. » (p. 52). Il sera peut-être fait allusion à un deuxième accouchement divin, celui de Jupiter enfantant Vulcain, à travers la mention d’un «percé à la cuisse » (D.V., p. 171). Pêle-mêle, on trouvera dans Falstafe beaucoup d’autres allusions mythologiques : « Mars, bardé de fer » (p.595), « Mercure ailé » (p.598), « farouche Pégase » (p.599) ; on lira aussi les exclamations « Par Pluton ! » et « Par Saturne ! » dans L’Atelier volant (p. 124).

Bref et pour préciser notre pensée sur l’importance d’Ovide (lui qui sut réunir en un livre toutes les légendes concernant ces dieux si remuants), nous dirons que son ombre plane littéralement sur l’œuvre de Novarina : dans leur structure même, leur principe, ses pièces fonctionnent en fait comme Les Métamorphoses. De plus – comme chez Arrabal et chez Lewis Carroll –, le panique (on sait que le mot est un dérivé de Pan) en est un élément constitutif : tout peut s’y produire et on passe très rapidement d’un état à un autre : rien n’est sûr, rien n’est fixe, rien n’est stable (ce qui est également très novarinien). S’exprime peut-être aussi une volonté de retour radical au merveilleux des traditions mythologiques : « Où est la fée ? […] Où sont les fées ? (O.I., p. 113) ; il semble que l’auteur refuse cette absence et ce silence.

Pour parler de façon plus technique, la notion de métamorphose, par sa soudaineté, est encore à rapprocher de la suppression-adjonction et du gag tels que pratiqués par l’auteur. Même violence dans la foudre de « Jupitarius » (L.M., p. 482) ; cette foudre, on l’évoque en effet dans La Lutte des morts en retravaillant « sauve qui peut (» Foudre qui veut », p. 507) et « foudre de guerre » (« Huinton se [croyant] le foudre de Jupiter », p. 482) ou en apocopant le verbe « foudroyer » dans « Je vole vous foudre » (p. 507). Potentiellement, foudre (/foutre) est aussi un mot-Janus et, en cela, intéressant novariniennement. Dans Le Drame de la vie (p. 256), c’est l’haddockien « tonnerre de Brest » qu’on revisite, dans « tonnerre de stop ! ».

La mythologie grouille aussi de monstres, parfois dangereux ; dans L’Opérette imaginaire, Méduse est rapprochée du mot « méprise ». On croise encore des personnages hybrides, de fait nombreux dans la mythologie (Pan, Centaure, Pégase, Minotaure, etc.) : dans Je suis par exemple, on veut entendre « l’air des femmes-poissons » (p. 133). Enfin, il se peut que les « Femmes-oiseaux à plumes et qui pondent » du Drame de la vie (p. 71) attribuent cocassement aux Harpies un statut de pondeuses que nous ne leur connaissions pas. A priori moins dangereuses, on croise même des nymphes, les « Nymphes du pneu » (O.R., p. 10) qui nous évoquent en effet de jeunes filles dénudées posant sur le capot d’une voiture de sport, « Tourment des nus, temps du pneu » étant un autre tableau peint par Louis – à la même page. Autres Nymphes (connues, elles, pour leur Jardin), les Hespérides sont associées à un mystérieux « Code » dans une liste de Vous qui habitez le temps (p. 28).

Quant aux « Crétins de l’Olympe », ils sont parfois monstrueux, surtout Mars (bardé de fer), Zeus ("tonitonnant") ou le changeant Protée ; il y a aussi le terrible Saturne, dont on retravaille le nom dans le « triomphe de l’école française de Suture et Satun Staturne et Stu » (D.V., p. 118) ou encore Janus (évoqué sans périphrase à la page 49 du Drame de la vie) qui est un dieu très novarinien, celui de la réversibilité – un « dieu à mi face » qui « sème le monde en vitesse » (D.V., p. 103) et qui brouille les pistes. Pourtant, dans L’Opérette imaginaire, le fil d’Ariane (et en filigrane : Thésée réussissant à s’échapper) est implicitement évoqué à la page 144, ce qui suggère la possibilité d’une sortie du labyrinthe.

Pourtant, c’est surtout la figure d’Orphée qu’il nous faut évoquer – n’oublions pas que le personnage avait aussi séduit Offenbach qui proposa en son temps sa variation autour du thème de l’amour perdu, de la communication avec l’Hadès, de la musique adoucissant les mœurs et parfois les morses – car, tel Zarathoustra, le Purun Bhagat de Kipling, Saint François, Merlin, Protée, Tarzan ou le « je » du Discours aux animaux (devant qui les oiseaux se pacifient), Orphée est en empathie avec la faune.