2.2.2. A la recherche de « Falbalarydice »

Qui est Falbala ? Est-ce un nouveau clin d’œil à Dubuffet et, en l’occurrence, à la  » Villa Falbala »  ? Peut-être, mais ce qui est sûr, c’est que ce personnage a à voir avec la mort ; à la page 77 de Vous qui habitez le temps, cela semble évident : « Je cherche toujours par terre où est Falbala… Enterré sous les débris, enterré sans alibi » (V.Q., p. 77). De même, quand le chercheur se désole en disant « J’avais perdu Jean Falbala qui avait passé qui était plus là » (V.Q., p. 80), il se sert certes du verbe « passer » mais un peu comme dans le sens d’une denrée qui serait périmée, d’un café "bouillu-foutu" ou des expressions "y passer" ou "passer l’arme à gauche".

Pourtant, un retour définitif et durable d’Eurydice et/ou de Falbala n’est peut-être pas impossible. L’espoir que le passé ne l’est pas encore tout à fait subsiste et c’est pourquoi l’on se rend dans ce qu’on pourrait novariniennement nommer l’Enfer des autruis (cf. morts, vides, parlés), ici visité comme une sorte de musée : tel est en effet le voyage que semble entreprendre notre Chercheur Orphique, ceci dans le cadre d’une véritable Orphérette imaginaire.

De fait, les « autruis » qu’il rencontre, qu’il s’agisse de Jean François, de l’homme aux as ou de La Femme aux chiffres) s’apparentent en partie à des personnages souffrants dont la douleur est difficile à exprimer voire indicible (ce qui ajoute sans doute à la souffrance et au malaise et se confond presque avec) : cette solitude fondamentale était celle des damnés de l’Hadès (Tantale, Ixion, Sisyphe) et on pourra estimer que l’auteur s’inspire ici d’une tradition(/matière) antique (cf. Homère, Ovide, Virgile) qu’il retravaille à sa manière, après Dante et Beckett.

De même, le veilleur et le gardien de caillou (que l’on voit au début) sont peut-être assimilables à Cerbère et/ou à Charon (voire au Sphinx), bref des personnages mythologiques de douaniers et de passeurs incarnant une difficulté majeure, une impasse qu’il s’agit de surmonter. A la page 61, le chercheur de Falbala (qui s’interroge sur la nature du tourment enduré par « Jean Rien qui n’est pas soi-même ») se demande « Y’a-t-il un homme qui soit revenu vivant de sortir d’ici ?» et décrète (p. 62) : « Vous ne parlez qu’aux ombres de ce que vous n’avez pas dit ».

Dans la lignée de Cocteau (cf. procès d’Orphée et de Cégeste), on aura également une scène tribulanesque, comme si Jean Singulier était sommé de se justifier de sa vie (dont il fait récit) auprès de deux entités/divinités qui seraient La Grammaire et La Logique. Plus trivialement, les « trois esprits [portant] des pantalons éructibles » sont des figures moins parquesques que farcesques et s’expliquent peut-être – poesquement en somme (cf. L’Ange du bizarre) – par la « tête de bois » de la page 64.

Pourtant, au terme de ce voyage essentiellement imaginaire, pataphysique, Orphée revient bredouille. C’est comme une non-rencontre, une rencontre avec le vide qui nous est racontée dans Vous qui habitez le temps. En s’inspirant des phrases « Quand nous appelons une chose avec un mot, c’est qu’elle n’est pas à nous » et « Nous n’appelons les choses que parce qu’elles ne sont pas vraiment là », on pourrait presque déduire : Quand nous appelons un être avec un nom, c’est qu’il n’est pas vraiment avec nous. Ici, le nom est une trace, une scorie, un vestige mais aussi un lien presque magique, un espoir et un point de repère. Bref, Falbala existe en tant que nom et en tant que non : c’est Godot.

La quête est cependant moins active chez Beckett où l’on ne fait qu’attendre mais le résultat n’est pas moins dérisoire, pas moins tragi-comique. "En cherchant Falbala", c’est En attendant Godot. Attendre ou chercher, ici, cela revient au même : cela ne rime à rien ; alors autant le faire (c’est presque shadokien). Chez, Novarina, on appelle Falbala (idem pour Godot) pour le faire exister un peu mais au fond de soi, on sait bien qu’il est aux abonnés absents. Parler de lui, c’est faire de la théologie négative. Tel Orphée (voire Hamlet), le Chercheur de Falbala communique donc avec « l’outre-monde » mais ce qu’il y a de l’autre coté, c’est cela que l’on ne peut pas dire.