3.2.2. « Alas, poor Yoryk ! »

Au fond, Yoryk est un double du Danois, comme son frère siamois : quand Hamlet considère ce crâne, c’est sa mort qu’il regarde en face : il réalise pleinement, par la préhension-même de l’objet-crâne qu’il s’inscrit dans un devenir-squelette. C’est sans doute ce qui inspire à Gotlib l’idée d’un nouveau dessin (très novarinien dans ce qu’il a de noirceur saugrenue) pour le talentueux Alexis, et où l’on voit un homme à tête de crâne considérer pensivement un crâne, ce crâne fonctionnant comme un véritable miroir : n’est-il pas juste « couvert […] d’une tête » ? (D.V., p. 136). Pourtant, le malicieux Gotlib ne s’arrête pas là et, tel Novarina "bouléguant" à partir de vocables au nombre limité comme dans le cadre d’une sextine, propose d’autres variations/permutations grandiosement saugrenues :

Tête en forme de pied / crâne.
Tête en forme de pied / miroir.
Tête normale / miroir.
Tête de clown / miroir.
Tête de clown / tête de cochon.
Crâne de veau / crâne de clown.
Tête de veau /violon.

« J’avais le crâne à la place de la tête » nous est-il signifié à la page 88 de Je suis – "qu’à cela ne tienne !" semblent répondre en chœur Gotlib et Alexis qui effectuent potachiquement cette permutation. Or, ce nouveau dessin fait écho à celui où Hamlet tient une deuxième tête : la sienne ou la même que la sienne, celle de son double et/ou de son frère siamois.

Dans tous ces dessins, l’impression est exactement la même que chez Novarina : la mort est partout – et pas plus dans le crâne de Yoryk que dans une tête, un pied, une hure, un violon, un miroir ou un nez de clown : Hamlet, comme Adam, est cerné par la mort : ne le sachant que trop, sa folie relative et son humour noir sont peut-être et à la fois des refuges et des échappatoires.