3.2.4. « Lorsque ma tête ne crânera plus »

De même qu’Hamlet pourrait fort bien être joué par le même acteur (un peu enveloppé donc) qui joue Falstaff (ou Falstafe) et que le Spectre (personnage le plus important de la pièce, de l’avis d’Orson Wells) aurait pu être celui d’un autre être que le père (voire d’un animal mort : une taupe serait idéale), le crâne pourrait ne pas être celui de Yorick (nous utilisons ici l’orthographe utilisée par Shakespeare). Ce crâne peut en effet et par exemple être perçu comme la raison d’Hamlet qui s’est détachée de lui. Il a beau la tenir ; il la tient à distance. Elle lui est devenue extérieure. C’est qu’un crâne, c’est la maison de la raison. Or, quand la raison n’habite plus la « coquine de tête », les souris/pensées/fusées dansent la danse du crâne. Paradoxalement, Hamlet est aussi le spectateur d’une folie qu’il constate surtout chez les autres, et c’est peut-être même le personnage le plus raisonnable de toute la pièce – c’est que Shakespeare savait également jouer avec les paradoxes…

Quoi qu’il en soit, l’humour est noir : « Lorsque ma tête ne crânera plus, / N’y aura que d’dans : des dents » (O.I., p. 14). De même, dans Falstafe, on lira : « Si le corps est mort, tirons-lui la langue pour qu’il vive » (p. 534). Comme chez l’auteur de Titus Andronicus et de Coriolan, il y a donc chez celui de Je suis (qu’on pourrait aussi comparer à Poe de ce point de vue) une morbidité fondamentale ; le corps semble déjà contenir la mort, qu’il comme couve « avec amour » (pour citer la fin d’un aphorisme terrible de L’Origine rouge) ; de même, on dira dans Le Roi Lear : « cette main sent la mortalité ».

Renvoyant à une terrible réalité, cette idée parcourt toute l’œuvre de façon obsessionnelle et s’exprime de mille manières, presque toujours comiques : « Si on me regarde tout nu, on voit un pendu » (D.V., p. 83), « L’homme est un fameux tueur de soi » (p. 57) ou encore « J’ai un corps mais il sent la mort. ». Dans Falstafe (p.62), un mort est dit « habillé de bois » – ce qui, on le suppose, fait référence au cercueil et annonce peut-être les jupes des centaurines machines à dire Voici.

Cela dit, le thème, non de la mort, mais du néant, est aussi abordé avec humour : ici – de même que la différence n’est pas toujours si énorme, au moins sur le plan de la rhétorique sexuelle, entre James Joyce (cf. Correspondance, notamment) et le créateur de San Antonio –, on pourrait presque associer Shakespeare, Novarina et Cami : ce dernier n’aborde-t-il pas en effet le thème de l’être et du non-être sur un mode comico-morbide qui n’exclut pas la profondeur métaphysique ?