3.3. La mise à distance du corps et de la mort

3.3.1. Pour une phénoménologie comique

L’interrogation sur le corps pourra prendre un tour vaguement phénoménologique car outre qu’elle présente des ressemblances avec la pratique de certains yogi, la technique dite de la réduction (et la possibilité d’une intériorité qui serait hors du monde) nous semble impliquer un dédoublement, dans la pensée, du corps et d’un corps considéré de l’extérieur de soi par soi, soit par un autre soi-même, éventuellement tardivien.

En son temps, le père du professeur Froeppel proposa en effet une phénoménologie amusante (se démarquant d’Husserl) avec des dialogues (assez peu socratiques) mettant en scène Monsieur Monsieur ; or, dans une même veine comique et poétique, Novarina semble plus ou moins reprendre le flambeau de Tardieu en proposant à son tour de nouvelles variations. Chez l’auteur de L’Inquiétude, on est cependant moins poli et plus direct avec autrui-le-corps : on l’appelle rarement Monsieur mais on lui parle, on l’apostrophe et on le questionne : « es-tu de mon espèce ? », « qui es-tu qui marches à mes côtés ? », etc.

Le problème, c’est qu’il ne répond pas : de ce point de vue, le corps ressemble à Dieu. Novariniennement, corps et Dieu ne font qu’un, le mystère (de Dieu et du corps) restant entier à cause d’une absence totale de réponse : c’est un corps au silence infini, effrayant, en un mot : pascalien. Mais s’il le faisait, s’il répondait, on serait dans du Tardieu, c’est à dire pas plus avancé. La lumière du corps en tant que néon qui dit « je suis » restera donc un mystère pour les siècles des siècles…

Sans parler bien sûr de dialogue véritable, il semblerait qu’il y ait tout de même une sorte de vague réponse du corps – une réponse clignotante : « Je suis […] Je suis […] Je suis […] – un corps dont l’existence même, qui permet la pensée, permet donc de se raccrocher à quelque chose, d’avoir un point de repère – s’agissant de Dieu, on ne peut pas en dire autant.