1.1.2. Taches d’encre

Dans un même ordre d’idée, rappelons d’ailleurs que le Taoïsme se présente en gros comme une école du vide. Qu’ils soient ou non de culture ou d’origine asiatique, certains peintres (voire Hugo Pratt) accordent autant d’importance (et parfois plus) aux parties non dessinées qu’aux parties qui le sont : en poésie, certaines structures (comme le sonnet) semblent proposer tout un jeu, dont les règles sont fixées à l’avance, avec ce blanc. Cette couleur revient en fait très souvent chez Novarina, mais elle s’applique parfois à des choses très inattendues : une thèse sur le blanc novarinien serait d’ailleurs envisageable – mais il serait très difficile d’y affirmer quoi que ce soit. En passant, suggérons l’éventualité, un jour, d’une thèse sur le rouge (Origine rouge, Mer rouge/globules rouges, pains saignants, etc.) et, plus généralement, une thèse sur toutes les couleurs novariniennes (on sait que, néologiquement parlant, il en a même inventé de nouvelles). Notons cette autre occurrence : « Jeûnons blanc » (D.V., p. 264). Quant à l’ultime titre de Robert Pinget, il ramènerait presque la littérature à un jeu d’enfant un peu dérisoire ou il s’agirait en somme de faire des « [taches] d’encre » (les mots ? les phrases ?) ; ce ne serait donc qu’un jeu avec la page blanche, une forme d’art brut voire un « tachisme à base de lettres ».

Mais pour en revenir au théâtre (et ce quelque pièce qu’on lise), on s’aperçoit, là encore, que le blanc (à cause de la présentation générale) peut, dans le cas de phrases courtes, de personnages ayant un nom bref et d’absence de didascalies – de fait fort rares chez Novarina – être parfois encore plus présent que les mots. On pourrait tout aussi bien évoquer la ponctuation de Céline, pointilliste (comme on l’a dit plaisamment) qui induisait tout un rythme de phrases mais aussi du mystère, de l’ironie, etc.

Cela dit, empressons-nous de le rappeler, il ne faudrait peut-être pas mélanger le blanc, le vide et le rien ; ainsi, le blanc n’est pas toujours pensé, sculpté, travaillé - est-ce même un vide ? Est-ce une catégorie du vide ? Ce n’est pas certain.

Le vide (surtout dans une perception relevant de la pensée chinoise classique) existe en fonction du plein et peut impliquer l’idée d’un accueil tandis que le constat parfois désolant du rien s’oppose à l’idée qu’il aurait pu y avoir quelque chose. Quant au néant – à rapprocher éventuellement de la notion de Nirvana (en tant que cessation de tout et en premier lieu du désir et donc de la souffrance) –, le néant n’est même pas pensable.

Tous ces concepts, toute cette rhétorique, Novarina joue avec – et en donnant parfois l’impression de s’amuser beaucoup . De fait, le rire (ici lié à l’absurde) n’est jamais très loin – mais n’y avait-il pas déjà cela chez Parménide ? Il est cavalier de l’affirmer ainsi, de but en blanc mais lues très vite, les hypothèses de Parménide pourraient presque en effet paraître farfelues (un peu comme du Gherasim Lucas avant la lettre) : la proposition du philosophe est bien sûr considérable – et pourtant, estimeront certains, ce n’est rien, du vide qui s’assume, une rhétorique diabolique. Au fond, tout dépend de l’importance qu’on accorde aux choses – cela vaut pour Parménide, Gherasim Lucas, ou Valère Novarina.