1.2. Un maître zen aux koans imparables

1.2.1. « Moi est mort » : les écrits d’un crypto-taoïste

En lisant Pendant la matière, on a parfois l’impression de lire les écrits d’un crypto-taoïste ; qu’on en juge : « Pratique du vide et ouverture de notre chair mentale, la pensée s’y précipite, pratique le saut ». (p. 62), « Il n’y a personne à l’intérieur. Il y a passage dedans. », « Il n’y a personne dans quelqu’un » (p. 92), « Moi est mort. » (p. 52). Invisible et mystère sont aussi évoqués : « Ne refuse pas la présence à ce que tu ne vois pas, sois présent à cette présence ». » (p. 121) ; « Le mystère est incompréhensible parce qu’il te comprend » (p. 29) ; « Tout un mystère est dans la personne, dans le mot même de « personne » (p. 116).

Bien sûr, la parole reste au centre des préoccupations de ce maître Zen aux koans imparables : « La pensée ne saisit pas, elle attend. Parler, c’est attendre la parole (p. 25), « La parole est toujours comme une danse d’attente qui atteindrait la parole. Non quelque chose qui émet mais quelque chose qui reçoit. » ; « Tous les silences attendent les paroles. » (p. 53) ; « Le mot est ce qui appelle la chose » (p. 28) ; « La parole est le corps du corps » (p. 96) ; « La parole nous a été donnée non pour parler mais pour entendre ce qui est tu » (p. 28).

C’est souvent (toujours ?) à l’acteur que s’adresse ces phrases ; idem pour : « Inintérieur est l’acteur vrai. » (p. 92) ; « L’acteur est la réponse offerte à l’espace » (p. 131). Ici pourtant, on dira qu’on s’éloigne du théâtre, Pendant la matière étant un recueil de notes ; évoquons donc encore « habiter dans quelqu’un » (J.R., p. 59), « l’ouvrier de Pense-point » (O.R., p. 172) et le « corps de quelqu’un sans personne dedans » (J.R., p. 59) qui suggèrent un vide (habitable ou pas) et l’invitation à «[allumer] la lumière dans la tête d’autrui » (O. I., p. 30) qui pourrait s’appliquer à un conseil donné par Jésus à ses disciples ou relever d’un « bouddhisme tourné vers autrui », ce qui, dans les textes du canon bouddhique, n’est pas automatique – la bouddhéïté étant d’abord à reconnaître en soi, par la respiration, le souffle (voire, tout simplement, par le fait de s’asseoir).

Cette importance accordée au souffle est encore une autre obsession novarinienne mais il en parle beaucoup plus clairement dans ses interviews que dans son œuvre : c’est peut-être que, pour lui, le théâtre n’est que souffle(s) et qu’il s’agit donc, sur scène, de ressentir et de pratiquer ce souffle au lieu de gloser et de disserter, fût-ce pertinemment, à son sujet. C’est également ce qui explique ici l’omniprésence de Pendant la matière et que cette partie sur le vide soit en somme plus théorique que rhétorique.