1.2.2. « Pauvre comme Diogène »

→ Il faut te gommer

Un peu étourdiment, nous avions décrété, dans la sous partie consacrée à Louis de Funès que le patronyme était souvent vide de sens chez Novarina ; c’était peut-être parfois le cas dans les pièces du début – sauf bien sûr pour Boucot dans L’Atelier volant – mais en ce qui concerne La Scène (cf. « Pascal », « Isaïe-Animal », « Diogène », « Trinité », « Fregoli »), c’est loin d’être certain, Marion Chénetier ayant même remarqué que chaque nom correspondait plus ou moins à un contexte spatio-temporel relativement précis et/ou à une œuvre marquante et fondatrice de l’histoire de l’humanité (ici sans doute : l’antiquité grecque, l’Ancien Testament, le Nouveau, Les Pensées mais peut-être aussi, avec Frégoli, une certaine modernité mouvante et caméléonesque annonçant l’ère de la vitesse et du zapping).

Dans un même ordre d’idées, le vide (et le saut dans le vide) étant l’un des sujets de la pièce, surtout vers la fin – où Dominique Pinon semble hésiter hamlettiennement entre deux types de défenestration (cf. saut dans la mort/saut dans l’amour) qui reviennent au même –, il n’est peut-être pas si surprenant que cela de tomber sur le nom de Pascal, auteur ayant justement écrit (cf. Les deux infinis, etc.) sur le sentiment de vertige que peuvent procurer certaines prises de conscience.

De même, le travail d’un prophète consistant à faire le vide, on ne s’étonnera pas de voir « J’veux me défaire enfin de tout c’que j’contiens ! » dans la bouche d’ Isaïe-Animal, Isaïe étant l’un des prophètes les plus parlés de la Bible, pour ne pas dire le plus "poreux", le plus absent (novariniennement parlant). Que Pascal soit, dans La Scène, souvent associé à Isaïe-Animal et à Diogène n’est pas étonnant : lui aussi « s’y connaît en viduités », comme le dit Pierre Ouellet405. Enfin (et sans parler du « Je cherche un homme » final), si c’est « Diogène » qui, « depuis son improbable tonneau » (l’expression est encore de Pierre Ouellet) lance « Il faut te gommer » et déclare vouloir « [vider] l’homme de son contenu » (p. 95), il ne faut sans doute pas s’en étonner : le vrai Diogène (nous parlons du philosophe) préconisait en effet, lui-aussi, une sorte de gommage, d’évidement, de dépouillement et d’appauvrissement :

Voyant un jour un petit garçon qui buvait dans sa main, il prit l’écuelle qu’il avait dans sa besace, et la jeta en disant « je suis battu, cet enfant vit plus simplement que moi. ». Il jeta même une autre fois son assiette pour avoir vu de la même façon un jeune garçon qui avait cassé la sienne faire un trou dans son pain pour y mettre ses lentilles 406 .

Présenté ici (par l’incontournable Diogène Laërce) comme l’inventeur du sandwich et plus exactement du pan-bagnat (dont le principe aurait donc été découvert à l’issue d’un véritable « Euréka-Satori »), l’authentique Diogène n’est pourtant pas le seul à prôner « l’allègement métaphysique »407 et à refuser le superflu : on ne compare d’ailleurs peut-être pas assez l’enseignement de Diogène à celui de Bouddha, les moines-mendiants devant se contenter du strict minimum – ne l’oublions jamais : les Grecs étaient des orientaux et ce genre de rapprochement (cf. Zen, Satori, etc.) ne doit surprendre personne. Dans un même ordre d’idée, Novarina nous rappelle le conseil de l’acteur Michel Bouquet : « A bas les nuances ! » – autre exemple signifiant : celui de Beckett choisissant le français pour, dixit, « s’appauvrir ».

Notes
405.

Pierre Ouellet, « Trou de scène », La bouche théâtrale, op. cit., p. 42.

406.

Diogène Laërce, Vie des philosophes illustres, entrée "Diogène", Garnier-Flammarion, 1965.

407.

L’expression est d’Olivier Dubouclez (cf. Valère Novarina. La physique du drame, op. cit., p. 100).