1.2.5. Un Samouraï de la littérature

Signalons encore qu’une œuvre comme Impératifs (in T.P.) ressemble étrangement à Hagakure, le cahier des charges des Samouraïs (voire à un livre de contraintes écrit par un oulipien devenu fou) : comme auteur, Novarina semble quelqu’un de très discipliné qui éprouve le besoin de s’encourager lui-même, de se lancer toujours « En avant, aspirant ! » avec beaucoup d’humilité et surtout de savoir toujours à peu près où il va. C’est pourquoi il multiplie rails, bornes, jalons et points de repère. Pour La Scène, il n’avait pourtant, au départ que, deux idées (faire jouer les régisseurs et donner un coup de poing sur le sol) mais cela fut déclencheur, fondateur et lui suffisait largement : tout était déjà là ; il ne restait qu’à travailler et à se laisser travailler/traverser par la parole – ce qu’il fit…

L’écriture, l’organisation d’une œuvre comme celle de Novarina, a peut-être même à voir avec l’idée, chère à Sun Tzeu, de stratégie, d’organisation militaire (voire l’approche guerrière d’un véritable Samouraï de la Littérature) : dans le texte évoqué ci-avant , Jean-Marie Thomasseau fait d’ailleurs remarquer que les Orientaux classent la calligraphie dans les arts martiaux « par la précision qu’elle requiert dans l’entame du geste »414 ; cette idée d’écriture/art martial (de contre-attaque) pourrait presque se retrouver dans L’Atelier volant, La Lutte des morts et Le Babil des classes dangereuses – mais encore L’Origine rouge où, si Dominique Pinon crie « Mort à la Mort », c’est peut-être comme un cri qui tue (quant au saut qu’il effectue pour aplatir le crâne, il requiert une certaine précision et a peut-être à voir avec le karaté).

Mais si, comme on l’a vu, il parle du vide aussi pertinemment qu’un grand penseur venu d’Asie, Novarina (dont le nom contient Nirvana) excelle encore dans le rien, inventant dans L’Origine rouge (p. 165) un homme « souffrant de néandrie » qui ferait bon ménage avec la Môme Néant et autres gens de Néandre n’existant donc que par le mot, sur le papier, dans l’imaginaire.

Terminons avec ce développement d’Etienne Rabaté autour de « personne » (qui annonce tout naturellement la partie qui va suivre) :

« Personne » est en revanche l’un des signifiants majeurs du texte, intrinsèquement lié à la dimension théâtrale, en raison de l’étymologie bien connue (le masque de théâtre). […]. La « personne » de l’acteur, c’est à la lettre un mort-vivant qui surgit de dessous les planches, un homme qui, parce qu’il n’est que l’acteur, peut « rejouer « à l’envers » le mythe de Pinocchio », et ne fait sens que s’il mime la rigidité mortuaire des origines de la parole, pour donner à celle-ci toute la place. 415
Notes
414.

Ibid., p. 5.

415.

Etienne Rabaté, « Valère Novarina et la poésie active », Valère Novarina, Théâtres du verbe, op. cit., p. 63.