2.5. Trou d’vif et Trou de sapin

Dans La Scène (p. 29), on lance une sorte de « Salut aux trous » en vantant ceux de nos « prédécesseurs » et en s’exclamant « Gloire à la chair pleine de noms », chair (et généalogie) dont nous sommes issus : par les trous passe la vie. C’est un message très positif ; cela pourra se dire de façon humoristique et exclamative : « En avant les tuyaux ! », « Vive le tube !» ou « Joie dans les trous ! ». Cela dit, le « Trou de sapin » (J.R., p. 60) qui évoque un peu l’intérieur d’un cercueil, reste présent lui-aussi : comment concilier ce trou de bois (celui du vide des pantins) au tube tubal de la vie ? C’est justement le tour de force que réussit Valère Novarina.

Le paradoxe est donc que ce bois lié au vide est aussi lié à la vie. Si le corps est en bois, cela n’implique pas qu’on soit de bois (comme dit l’expression) et n’empêche aucunement les pantins humains de vivre, de « faire sexe » et de se reproduire : il y a même « lieu de louer » et de « [vénérer] les femmes de bois qui nous ont faits de bois » (O.R., p. 173) : on chante la joie d’être de(/en) bois.

L’ambiguïté du mot bois se retrouve un peu cette affirmation : « la réalité de la chair humaine est en bois et en faits » (O.R., p. 52) ; ici le « bois » rend peut-être un son creux tandis que les « faits » sont indéniables : il y a le bois d’Ithaque (et en filigrane : ce que cache le cheval de Troie) et ce qu’on voit mais qui ne cache rien. Comme expression , la langue de bois (retravaillée en « oreilles de bois » dans Le Drame de la vie à la page 257) évoque certes une forme de mort mais la parole trouante novarinienne n’a rien avoir avec cela : elle procède d’une énergie divine qui nous permet d’« hommer ».

Dans La Scène (p. 32), on a pourtant le cas d’un qui raconte sa vie comme « l’histoire d’une marionnette agitée par les choses déjà toutes dites » : il y a sans doute, hélas et en effet, un essoufflement (malgré tout relatif) de la parole initiale (qu’on a parfois refusée et à laquelle on a opposé des mots parfois creux ou qui se sont galvaudés, s’érodant, s’effritant, perdant de la force, devenant des lieux communs) mais le souffle divin opère quand même (« Grand mère brosse encore » eût dit Frédéric Dard) et l’homme est toujours là.

Sur scène, même paradoxe : les acteurs sont des robots souples, des pantins sportifs, de vivantes sarbacanes et des joueurs de squatch capables, tels des tuyaux humains, de faire circuler et résonner la parole dans tous les coins et recoins d’une salle de théâtre. Bois et vide font retour dans L’Acte inconnu : on parlera du « bois de moi » (p. 165) et du « bois d’moi » (p. 98), d’une « main de bois » (p. 115), du vide au centre des marionnettes qui « permet leur mouvement » (p. 163), du « milieu du rien humain » (p. 18), d’un rien qu’on extrait de ses mains (p. 138), d’une « fumée humaine » (p. 138) en forme de pantin, d’un « pantin de ma mère » (p. 138) qui se dit « arrivé par terre par son trou » (sans doute l’orifils de Gertrude) et de « scènes de fantoches » (p. 47) dont on voudrait qu’elles cessent. On le réalise : dire « Taisez-vous, Pinocchio », c’est dire "taisez-vous, parlé", la métaphore du pantin de bois s’appliquant à l’homme en général – et pas seulement à l’acteur.