1.2. L’expression d’une plainte

1.2.1. Vertiges de l’amour (et de la mort)

Pour continuer à filer la métaphore musicale, disons qu’on pourrait presque parler de plaintes relevant d’ un blues (mais dans l’esprit, bien sûr, l’intention) de facture classique (roots voire) chez Valère Novarina. Ainsi, dans tel duo de L’Opérette imaginaire, le temps qui passe et l’entropie sont évoqués en termes relativement simples, exactement comme en un blues déchirant fait de constats terribles :

‘J’achète que des choses qui cassent / Je mange jamais qu’du temps qui passe / Jusqu’à ce que l’temps lui-même trépasse / Y a aucune solution […] / Le temps augmente, y s’accumule / Moi je t’le dis, pour t’consoler /Y a de plus en plus de passé. ’

Dans ce cas-là, il y a comme un vertige de la mort et du temps qui passe. La solitude et l’angoisse face à la mort se retrouve dans la « chanson suspecte chantée par Michel Baudinat » de L’Opérette imaginaire (pp. 13 14) :

‘Qui c’est qui m’ramassera / Une fois qu’j’m’étendrai là ? […] / Poussière, tu me repousses hors d’la lumière / Moi je t’le dis : derrière ? /Derrière la vie… qu’y-a-t-y ?’

Certes, et ne l’oublions pas, ce sont là des passages d’airs d’opérette. Mais, dans l’esprit, la rhétorique, ce sont comme des blues fort âpres, faulknériens et pouvant surtout s’appliquer à des motifs beaucoup plus communs, classiques, de plainte…

Dans les sujets habituels de la musique blues, il y a bien sûr ce que Bashung, ce Novarina de la chanson, nommerait peut-être les « vertiges de l’amour », tels que chantés, « en ritournelle, puis en yodl néantique », par la Femme Pantagonique à la page 134 de L’Opérette imaginaire :

‘L’amour n’est pour moi qu’un tourment / Qui m’entraîne […] / L’amour n’est pour moi qu’un torrent / Qui m’emmène […] / L’amour se perd dans un torrent […] / L’amour se perd dans l’océan… / Mon amour, oh non… par ma bouche / Ton nom ne s’ra pas prononcé / L’amour n’est pour moi qu’un néant.’

Pourtant, l’amour est parfois présenté de façon moins ambiguë ; de même, le vertige qu’il implique ne concerne pas que la femme aimée. Ainsi, aux pages 151-152 de L’Acte inconnu (un acte de chair ?), on se sent « voler d’joie », on est plein d’amour pour tout et on donne de soi (de son temps ou en envoyant des ondes positives) à tous les êtres (« chien qui passe » et « hommes d’ici » mais aussi « note de musique », « eau qui va », « pierres » et « silences ») même si la pointe sera un classique de la chanson d’amour puisque c’est aux « yeux placés sur ton front » (l’aimée étant sans doute d’origine martienne) que l’on fera allusion. La joie et l’amour sont tels qu’ils permettent une forme de résurrection : « Beaucoup de ceux qui dorment dans la terre / De la poussière se réveilleront ».

Enfin, dans L’Opérette imaginaire (p. 22), on chante certes l’amour donné à des objets se confondant avec des êtres (« lorsque j’achète un objet paire », etc.) mais c’est une manière pour l’auteur de se moquer de la folie consumériste de l’Homme de Societ : rien à voir donc avec un « Vertige de l’Amour » avec un grand A.