1.2.2. Chanson réaliste

L’esprit du blues se retrouve aussi dans un certain type de chanson réaliste (voire de goualante) ; le thème pourra en être le destin tragique d’un homme comme dans la « Chanson d’Marcel moi-même », chantée par Jean Soi à la page 107 de L’Opérette imaginaire :

‘On m’a fait boire du rastagoua / On m’a nourri d’bien pire que ça […] / On m’appelait Bonjour-bonsoir / Y m’ont fait même mangé du mort […] / Croque fort, c’est jamais que / D’la viande comme le reste / Et pis j’m’en fous t’nez donnez-moi / Avant d’flancher juste dans vot’tas / Une bonne pelletée de cendr’ avec ’

On dirait en fait (cf. argot, misère extrême, indifférence des autres, tentation de la mort) une chanson de Rictus tirée des Soliloques du Pauvre voire un passage du Bossu Bitor de Tristan Corbière. Juste avant (pp. 106-107), on nous fait même visiter une véritable cour des miracles (avec pour la chanson, l’argot qui va avec) composés d’hommes dormant « tout l’temps déhors » (« Su’ l’carton ! su’ l’carton »), se suicidant à l’occasion (« y s’est foutu à l’puits / Dans la Seine, dans la Seine ») et affligés d’handicaps problématiques : « On l’appelait Riri Bostard / Y naviguait qu’d’un seul panard / On l’dénommait Fifi Mangetout / Car il n’avait qu’un pied au bout. ». Certes la langue est drôle, mais le monde décrit : terrible, pathétique, sans pitié.

S’exprime peut-être aussi comme un désir de mort dans la métaphore utilisée par le Mortel dans sa chanson (cf. « Vilain soir ») de la page 146 : « Vois-tu c’rat, là-bas qui trotte / Tout en rond dans son réduit / Ouvre donc lui la cage !/ Ou passe par le garage / Du cagibi » (le garage étant une pièce où il semble que l’on se suicide volontiers). Dans ces conditions, on comprend que ces personnages si tourmentés par le désir de mort éprouvent par moment le besoin de s’évader – c’est à dire : autrement que par le suicide…