1.2.3. Chanson de marin

Le désir d’évasion maritime se retrouve dans Le Babil des classes dangereuses, avec les noms de bateaux de la page 253 (« La Luzarche », « L’Obsédange », « La Sémillante », « Val Vertigo », « S.S. Savanah ») et le début de cette invite rimée de la page 296 : « quittons les horizons, au large, oiseaux, loin des cochons, allons à Nogent, des roses dans les murs y fleurissent au printemps ». A la page 305, on a carrément une chanson de marin :

‘Le navire est en partance / chargé d’êtres ravissants / il fend les eaux profondes / vers d’autres mondes : Océanie, terre patagonne / Sur le tillac, la princesse Hélie, / à la proue Edgard de Jurançon / à la poupe : tout le peuple des poissons […]. ’

Pourtant, un certain réel reste visible du bateau : « Au loin les îles : Asnières, Meudon ». Enfin, sans parler d’une chanson de marin noire, tragique et désespérée, il y a encore, dans L’Opérette imaginaire, un air qui n’est pas sans évoquer (la réalité du plancher des vaches n’étant pas toujours satisfaisante) le désir d’ailleurs (d’évasion, de prendre le large), à l’œuvre chez un écrivain populaire tel que Mac Orlan :

‘O matelot dis-moi mon pote / Si je mens que l’bon Dieu me tripote ! / Quel yacht c’est pour un marin ! […] / Y en a pas un dans toute la marine / Qui ait une plus fière mine ! / Un yacht connu des marins ! / De n’importe quel coin ! / C’est le Gallipétant, p’tit pote ! / La plus belle unité d’la flotte ! / Tu peux y aller y’a pas plus grand ! / Que le Gallipétant ! (O.I., p. 123).’

En extrapolant un peu, on pourrait estimer qu’on met un peu à distance celui qui reste à quai au lieu d’embarquer sur le fier « Gallipétant », le « C’est pas toi qui y es / c’est pas toi qu’es beau » d’Alain Souchon correspondant peut-être au sens profond de la chanson, le Gallipétant symbolisant alors l’inaccessible, le rêve impossible à réaliser – signalons que, tout comme l’auteur étudié, le chanteur cité n’est pas vraiment considéré comme un bluesman et pourtant (idem pour Jonasz), ses chansons sont souvent des blues dans l’esprit et ce malgré une apparente drôlerie.

Chantée à deux (par Anastasie et le Valet de Carreau), la suite a un peut-être un double sens sexuel : le « flambeau l’plus haut » suggère une érection et « j’suis vraiment en compote » : une impuissance (tout comme, plus loin, « lâcher son arc »). Pour « Retourne à tes mathé-matiques / va lire Denys l’Aéro-pagyte ! et laisse tomber la pratique », c’est une demande à rapprocher de « Reviens me voir quand tu s’ras plus en compote ». Quant à la « chaloupe » qu’Anastasie menace de quitter, c’est sans doute le lit conjugal.

Dans La Scène, pas de chanson sur le thème de la mer – et pourtant l’opposition « plancher des vaches » sur lequel « nous galérons » / « large » où croisent « [mille] bateaux, goélettes, boutres, felouques, jonque, tartanes, pataches » se retrouvera à la page 66.