1.5. Bible et Blues

1.5.1. Complainte de Lazare en son tombeau

Comme dans le vrai blues américain qui se confond parfois avec le gospel qu’on chante (comme dans l’une des scènes finales du roman de Faulkner Le bruit et la fureur) dans les églises, la Bible et son terrible cortège de malheureux (Job), de martyrs (Samson) et de maudits (Judas) est loin d’être absente. Dans L’Origine rouge, par exemple (p. 42), il y a comme une "Complainte de Lazare en son tombeau" (cf. « Relevailles ») qui voudrait bien, en somme, sortir de cette si « sal’siii-tu-ation » (O.I., p. 13), le « tombeau » pouvant ici fonctionner comme une métaphore de la noirceur de la vie et de la profondeur du désespoir : « Attendre ! attendre allongé ! / J’l’avoue c’est à désespérer / Tout seul sous terre où on voit rien / C’est déprimant, c’est dégoûtant / D’y passer tou-ou-out son temps… ». Heureusement, la « revie qui enivre » – cf. « violovivre » (O.R., p. 43) – est au bout du tunnel :

‘J’étais là-bas, tellement couché, / J’étais dans cette nuit noire si en-nuyé : qu’ j’étais navré ! / C’est épatant, ressusciter ! c’est évident ! / Ca m’fait du bien / Ca m’différen-ci-i-e du chien. ’

Ici, c’est donc le souvenir de la mort (du désespoir ?) qui est évoqué. Puis, par une didascalie concluant cette « chanson mortelle, par un Ex » (p. 41) on comprend qu’il s’agit en fait d’une sorte de cycle : « Le mort retourne mourir ».

Le tombeau pourra être à roulettes et certains feront de la Chanson automobile une lecture psychanalytique : pour ce conducteur régressif, ce lieu clos s’apparente au ventre de la mère « ouskon » (dirait Queneau) « [s’fait] p’us d’bile » (« j’suis en bagnole » équivalant à « j’suis en sécurité-é ») : au fond, la « p’tite Peugeot » est plus un caveau douillet où l’on se prélasse qu’un vulgaire cageot : argotiquement parlant, c’est même un pageot (et il faudrait demander à l’auteur s’il n’a pas lu Little Nemo).

Quant au plaisir du mort (le personnage n’étant plus avec nous), il s’exprime par le rire (« on rigole ») mais prend peut-être aussi la forme d’une sorte d’onanisme (bi)routier (« écraser l’champignon » étant vaguement ambigu) : dans ce mini-paradis automobile, on a quitté l’enfer des hommes, on est « [délivré] de tous les doutes » et on a l’impression agréable de surfer sur une bonne vague « [en] glissant sur [ses] quatre pneus ». La Chanson en question est également un parcours philosophiquement balisé : pour n’être pas « [tout] triste [dans] sa monade » en se disant que « Leibniz, c’est d’la panade » (et au lieu de « [bouffer] d’la banalité » en compagnie de Comte-Sponville), il est joyeusement conseillé « d’foncer dans Nietzsche, à toute Bersicht » : bref, la vie et la joie l’emportent in fine.

Dans La Scène (p. 86), le cercueil est vitré comme une Papamobile et Michel Baudinat (cf. Le Pauvre mort), qui est à l’intérieur, nous chantera de façon très enjouée :

‘Oh que je suis bien dans ma boîte de verre : / Je vois dedans l’aut’ monde et ma vie au travers / A jamais dispensé de manger de vot’cuisine ! / Ah qu’il est doux, / Loin de vous, voix assassines / D’ronger paisiblement les pissenlits par la racine.’