2. Valère au bout de la nuit

2.1. Alors Polo, on carbure au brouillard

Victime de « [mille] mocheries » (L.M., p. 400), le je novarinien se plaint souvent de son sort de façon très comique, et pas seulement sous la forme de chansons. Ces plaintes sont présentes dès Le Babil des classes dangereuses : « j’étais si triste qu’on m’baptisa « l’épluchure », allusion oignassée aux légumes qu’en mon cœur larmoyant, j’épluchions » (p. 243). Ici, ne plus pouvoir « souporter d’être enfermé dans un corps » peut être une raison valable de se « truicider » (L.M., p. 352). On souffre de toutes les façons possibles et imaginables, de « troubles mentaux, anaux » (B.C.D., p. 215) et autres.

Dans La Lutte des morts, même douleur : ce qui donnait envie de vivre n’existe plus : « Les charmes à c’pauv’monde » ne « bercent plus les orilles » (p. 368). Quant au cul qui « donnait la vie », voici qu’il « chie l’ennui » (L.M., p. 362) ; à l’origine de cette révélation : l’expérience (car c’est elle qui, seule, nous permet de « saisir le vide du cul ») ; plus rien ne fait sens, on a perdu la joie, le désir s’est enfui et le vide ressenti est total : « rien plus soutient sa tête qui est morte » (L.M., p. 362).

Dans L’Atelier volant, la plainte ne sera pas seulement sociale mais aussi existentielle : devant le temps qui reste à vivre, on se demande : « Combien encore de fois bouger mes pattes ? » (p. 91). De même, quoique drôle, la phrase « Alors, Polo, on carbure au brouillard » (A.V., p. 150) s’applique peut-être métaphoriquement au cafard des ouvriers. Ici, le temps passe très vite : « le jour se lève et déjà la nuit tombe » (A.V., p. 97) ; de même : « Mon vieux cœur de jeune fille déjà se rouille » (A.V., p. 117). On a le sentiment qu’il est déjà trop tard, que la vie vous a doublé et qu’on est « floué par les années perdues » – ici perdues à gagner de l’argent pour l’infect Boucot.

Dans Le Drame de la vie (p. 70), on va jusqu’à accuser Dieu : « Celui qui nous a faits n’aurait pas dû ». Si Adam entre (cf. didascalie du début), c’est dans une arène de malheur – dans la liste qui suit (p. 11), on parle même de « L’Homme de malheur » : dès le début de l’œuvre, le mot « malheur » est donc présent – ce qui est une manière d’annoncer la douleur.