2.2. Rien ne va plus : un désespoir cosmique

Il y a donc dans les premières pièces tout une rhétorique de la souffrance, du malaise et du désespoir (bref, et pour annoncer notre troisième sous-partie : tout une « rhétorique de la cause du désir de corde ») mais il semble que cela culmine dans Je suis (beaucoup plus que dans la version pour la scène, soit L’Espace furieux), une phrase comme « j’avais en tête aucune idée d’attrayant et je jetais toutes mes idées avec » donnant une idée du malaise ressenti. Quant à la nuit, elle ne constitue nullement un refuge contre la négativité : « Une fois la nuit retombée dessus, je savais même plus si j’étais plongé dans la pénombre ou si c’est moi qui voyait tout en noir » (J.S., p. 57). Le noir peut aussi être voulu, désiré, appelé de ses vœux : « J’avais beau être enfant de lumière, j’avais soif du noir » (J.S., p. 69). Le corps même peut être perçu négativement, ce qui s’exprime (O.R., p. 48) dans un constat fait d’humour noir : «Ce corps est encore à moi : j’en constate les milles nuisances ». Ailleurs dans Je suis (p. 144), le « je » dit qu’il fait des « parties de mort avec [son] corps » – encore un sport étrange…

La descente aux enfers, un thème cher à des romanciers comme Géoïdes ou Thompson semble ne jamais prendre fin ; la série noire, le cauchemar, la purée continuant de plus belle ("quand il n’y en a plus, il y en a encore" pourrait-on dire de façon triviale). Ici, c’est avec l’impression d’un certain vertige que le je novarinien fait l’amer constat de cet état de choses :

‘J’étais fin fond d’une dépression, d’ou je niais qu’il soit possible de descendre plus bas, et pourtant c’était faux. (J.S., p. 108).’

Nous sommes avec Je suis dans une sorte de roman noir peut-être encore plus noir que ceux des maîtres contemporains du genre et qui se piquent de nous faire voir l’enfer et toucher le fond au travers de leurs livres ; c’est que le je novarinien, tel un Philip Marlowe qui aurait lu Beckett, touche vraiment le fond – du problème...