2.3.6. Passé / Présent / Futur

On a vu que Novarina, cet homme qui dit non, ce poseur de mais, était capable (par des mots-valise audacieux ou la proposition d’un nouveau calendrier) de s’opposer pataphysiquement au temps et à sa triste et terrible linéarité.

Cela dit, ce sont là des éclats, des éclairs et les mouvements de révolte d’un qui crie dans le désert. En effet, il semblerait qu’en règle générale, les « chutes du Niagara » en question emportent tout sur leur passage. Pour généraliser un peu ce qui est écrit à la page 46 du Drame de la vie, posons ceci : on sort, on mange le viandat puis on veillait et on « cada » – et on a vu précédemment à quelle vitesse cela se passait : « le jour se lève et déjà la nuit tombe ».

Parfois, on se sert même des termes « passé », « présent » et « futur » (souvent utilisés dans l’ordre habituel) pour se plaindre de la flèche du temps ; c’est le cas dès Le Babil des classes dangereuses (p. 317) : « Le passé m’a trompé, le présent m’atourmante, l’avanir m’apouvante », phrase rendue plus correcte dans Le Drame de la vie (p. 25) avec « Le passé m’a trompé, le présent me tourmente, l’avenir m’épouvante » et réécrite encore dans L’Origine rouge, à la page 187 (le point-virgule remplaçant cette fois la virgule). En fait, toute l’œuvre fourmille presque de variations de ce type, réalisées à partir de ces trois noms-bornes balisant pour Adam ce temps qui passe en le rendant amer à cause du passé et inquiet à cause de la mort.

Pourtant, dans la Chronomachie de L’Origine rouge, des phrases plus ou moins fatalistes comme « Bouffées du passé, relents du présent, Hoquets du futur : j’ai vécu à vent » (p. 184) ou « Le passé me mine, le futur m’termine, ô temps : vermine ! » (p. 188) sont minoritaires : il semble en effet que le « poseur de mais », représenté notamment par le personnage de Sosie, « [reprenne] du poil » : « j’m’oppose au temps » lance d’ailleurs ce dernier – et à la page 188 : « J’aime pas le temps ! Ah ! la fuite du temps quelle scie ! ».

Ici les phrases anti-temps sont tout à fait nombreuses : « Oublions l’passé qui est outrepassé ! Fuyons dans l’futur qu’est de plus en plus mûr ! Offrons-nous l’présent ! » (O.R., p. 182), « Passé, adviens ! futur revenez ! » (O.R., p. 183), « Le futur venant, le passé fuguant, / Le présent durant : / Hé hue ho hi ! / Le mouvement n’est qu’apparent » (O.R., p. 185), « Mon passé m’espère au tournant ; j’attends le futur pour maintenant » (O.R., p. 187).

Il y a aussi des paradoxes – ici, ce qui use, c’est l’avenir tandis que le passé « urtique » et que le présent « nuit » (O.R., p. 189) – et des décrets bizarres : « Je ne dirai plus le futur mais le furu » (O.R., p. 196), ce « furu » rappelant les mots furie(/fureur), fichu (/foutu) et le préfixe « Urlu ». Bref, l’Animal du temps refuse d’être enfermé dans la cage en question – et ce n’est pas la seule modalité de révolte.