2.5. Mirage de l’amour

Quant au sentiment amoureux (cet « infini mis à la portée des caniches » disait Céline), son existence est mise en doute à travers les théories terribles du Vipéricien de Je suis ; ce dernier donne à « Valère » un cours de zoologie fort singulier où femmes et vipères semblent misogynement associées. L’image qu’il donne ici de l’amour est éloignée de tout romantisme : « comment pouvons-nous désirer de serrer dans nos bras un simple sac d’excréments ? » (p. 150).

Ailleurs, l’amour semblera comiquement ramené à sa dimension strictement sexuelle puisqu’il s’agirait juste d’une pulsion animale « qui nous fait nous jeter sur autrui ». Quoi qu’il en soit, le sentiment de n’avoir goût à rien et le fait de tout mettre au même niveau parce que plus rien ne compte vraiment pour soi semble s’exprimer dans Je suis (pp 66-67) d’une façon tragique où on ne sent pas que perce le moindre humour (fût-il noir), ce qui est très rare chez Novarina ; qu’on en juge :

‘Chaque fois que j’avais un sentiment, c’était accompagné du pressentiment d’un signal qui me signalait que j’éprouvais rien. Et même n’importe quel être au monde, même chéri par moi, m’apparaissait une viande en plus. ’

Notons par parenthèse que ce je novarinien là (car, comme on l’a vu, il y en d’autres) ressemble grandement, par son désespoir et sa passivité à L’Enchanteur Pourrissant de Guillaume Apollinaire (ce dernier s’y identifiant à Merlin, autre grand éconduit) mais aussi, bien sûr, à certains personnages de Beckett voire au Bellacqua de Dante.