On a vu que Novarina flirtait volontiers avec des idées noires, morbides et qu’une sorte de désespoir ontologique s’exprimait assez souvent. Parfois, cela va plus loin : on franchit la frontière… L’imagerie qui se met alors en place, en quoi consiste-t-elle ? Aller chez les fameux « autruis », par exemple : qu’est-ce à dire ? S’agirait-il d’aller chez les morts et/ou de descendre aux Enfers pour tâcher, comme dans Vous qui habitez le temps, de retrouver "Falbalarydice" ? On ne peut ici qu’émettre des hypothèses – à moins bien sûr que nous ne soyons déjà dans l’au-delà, «Umonde», «Urlumonde » ou « monde d’outre-part » ? A moins que toutes ces dénominations étranges ne correspondent en fait à des galaxies n’ayant rien à voir entre elles, des dimensions ne communiquant pas – et où nous aurions pourtant accès grâce à la parole de "Norphérina".
Il faudrait ici évoquer l’idée d’une nécromancie novarinienne, assez proche en somme d’une rhétorique de type vaudou, car n’oublions jamais que des critères strictement européens ne permettent pas forcément d’appréhender certains aspects du texte. Quoi qu’il en soit, l’auteur s’inscrit de fait dans une certaine tradition littéraire de la communication avec le monde des ombres. Sans parler d’Homère et de Virgile, évoquons l’enchanteresse nécromancienne de Lucain :
‘ Elle méditait des paroles inconnues aux magiciens, aux dieux même de la magie, et formulait de nouveaux charmes pour des usages nouveaux […] sa voix […] ne fait d’abord entendre qu’un murmure confus et qui n’a rien d’humain et qui n’a rien de la voix humaine : c’est tout ensemble l’aboiement du chien, le hurlement du loup ; c’est le cri lugubre de la chouette, le cri nocturne du hibou ; c’est le rugissement du flot qui se brise contre l’écueil ; c’est le mugissement de la forêt et le fracas du tonnerre qui sillonne la nue. 432 ’De manière métaphorique, on dirait presque là une définition de la prose de l’auteur lorsqu’est rendu effectif le déhommage qu’il préconise. Quant à Rabelais, c’est dans une veine beaucoup plus parodique qu’il nous parle de certains morts illustres ; idem pour Swift et Shakespeare (tous trois, dans Pantagruel, Gulliver et Hamlet, mettant notamment en scène César, Alexandre et Cléopâtre). Dans un même ordre d’idées, l’auteur, par ses lectures (cf. Bible, Coran, Bossuet) semble avoir un très grand respect pour le passé ; or c’est bel et bien là une manière (cf. la lecture, la méditation, l’intérêt pour l’histoire, etc.) de communiquer avec les morts voire de converser avec eux comme en long dialogue qui ne prendrait jamais vraiment fin en ce qu’après notre mort même, il sera (peu ou prou enrichi par notre apport) repris par d’autres, puis par d’autres, puis par d’autres, etc. Il nous semble qu’en cela surtout consiste le chamanisme novarinien : en le lisant, on communique avec Rabelais, Dante, Beckett, Dubuffet, etc. C’est difficile à expliquer mais leur absence « n’est pas probante » – et le passé, pas passé (inaperçu, en tout cas).
Pourtant, on sent confusément qu’il y a autre chose : qu’est-ce donc qui hante le texte ? Dans un article, l’idée de possession et même d’endiablement est évoqué de façon troublante par Allen S. Weiss.433
A travers son œuvre, l’auteur se présente en tout cas comme une sorte de « rappeleur de morts » (V.Q., p. 40), ce qui l’apparente presque à un prêtre vaudou (acteurs et personnages étant peut-êtres des poupées percluses d’aiguilles) voire à un griot africain (mot utilisé à la page 358 de La Lutte des morts dans « Griot Bercet ») ayant le pouvoir magique de communiquer avec les ancêtres.
Lucain, Pharsale, Dieux et héros de la Rome antique, Tchou, 1969, p. 146.
Allen S. Weiss, « Le théâtre de la possession », Java, op. cit., p. 21 à 27.